Le Minotaure 504 from La Préface du Nègre
Written in French by Kamel Daoud
À Alger, tout le monde vit avec mon argent, mon fric, les 1700 dinars qui m’ont été volés près de la gare des trains, il y a dix-sept ans.
Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on arrive à Alger parce qu’on a pris le taxi et son cabas ? Tu me fais rire. Ils sont combien comme toi, à ton avis ? Des millions ! Tous les millions de ce pays. Tous veulent aller à Alger et lui demander de leur faire la cuisine, de leur donner à manger, de les abriter, de porter leurs enfants sur son dos et de leur montrer la mer qu’elle possède. Tu sais (là, il se penche vers moi avec ses petits yeux qui se veulent malicieux, et pour que les autres passagers ne nous entendent pas), Alger, c’est pas une femme et ce n’est pas un homme comme toi et moi. C’est… c’est comme un truc que j’ai vu un jour sur Canal +. Oui, j’ai regardé Canal + la nuit, comme tous, mais moi je le dis (il rit en m’indiquant du menton nos compagnons, en visant son rétroviseur), je ne le cache pas. J’ai vu —que Dieu nous préserve — une sorte de femme qui avait des seins et un sexe d’homme tendu vers la caméra. Alger, c’est comme ça : c’est une transsexuelle comme on dit. Personne ne sait. Y a des gens qui veulent la téter et elle les empale. Y a des gens qui veulent l’épouser et c’est elle qui les déflore. (La route captura encore son regard et il me lâcha pour aller vagabonder dans sa mémoire. C’était la nouvelle autoroute : elle traversait désormais le nord comme une ligne droite et Alger n’était plus la ville la plus lointaine de tous les angles du pays.) Tu sais, j’ai été comme toi : je suis, moi aussi, parti vers Alger. C’était il y a des années. D’ailleurs, cela m’a pris des années pour y arriver, finalement. C’est mon père qui le voulait. Il a estimé, à un moment, que je devais trouver mon pain moi-même : c’était un homme fort, un immense taureau qui a labouré ma mère et les champs pendant des années. (Je saisissais maintenant la ressemblance, et l’origine de cette odeur qui empestait le taxi : une odeur de bête, d’écurie, de fourrure et d’urine mêlée à de la paille. Un coup de frein léger puis il reprend.) Je vais te raconter. (Je n’avais rien d’autre à faire, de toute façon, que d’écouter ce courtaud à la tête si grosse qu’elle donnait l’impression d’être vissée sur le siège, cou très court et échine de bête.) J’ai essayé de partir sur Alger dans les années 1970. Tu sais, moi je suis un vrai Algérien : je suis né dans un village, je connais mes parents, pas comme les bavards de la ville. Ma mère a eu deux époux et moi, un seul père. Le premier était un cadre dans une préfecture, un responsable comme on dit, qui, je le crois, n’a jamais pu éveiller le désir chez ma mère. C’est elle qui me l’a dit, ou du moins, c’est moi qui l’ai déduit, à sa façon de me raconter comment elle a rencontré mon père dans un champ d’herbes hautes. Je sais donc d’où je viens mais je n’avais pas où aller. Je m’en souviens. Pas de mon voyage mais de la sortie du village. Vers l’est. C’est là que je l’ai attendu. Tu sais qui ? Non, vous ne le savez pas, vous les jeunes. J’ai attendu le bus d’Alger. Y en avait un qui passait par chaque village du pays durant les années 1970. Vers les quatre heures du matin. J’étais jeune. Mais j’avais aussi peur, car je n’avais pas encore de moustaches (les siennes étaient grosses et il se cachait derrière, comme derrière un mur ou derrière les cornes d’un taureau trop bavard, à cause de sa solitude). C’était mon premier faux départ. Le bus est arrivé une heure en retard ce jour-là, mais moi j’étais déjà sur le chemin du retour vers la maison de mon père. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma poitrine. Ce n’était pas la peur. Peut-être seulement le premier dégoût. Comme si on me forçait à épouser une femme laide et cupide. À dix-sept ans, je n’étais pas encore prêt pour coucher avec une prostituée. Ensuite, je me suis dit : pourquoi quitter des gens que j’aimais pour des gens qui n’existaient pas, au bout d’un grand labyrinthe de routes et de gares ? J’avais mon cabas, de l’argent et tous mes papiers possibles. Tu sais (il se rapproche à nouveau, et moi j’essaye de ne pas croiser son regard, pour ne pas trop l’encourager, mais il y a encore quatre heures de route à meubler avec son histoire, quatre heures de route à suivre du regard le fil des poteaux électriques), tu sais, je suis revenu presque en courant vers le douar. Comme si tous ceux que j’avais connus, mes cousins, ma grand-mère et le boucher Djelloul, avaient failli mourir à cause de mon départ et être emportés par mon éloignement. Je suis resté là pendant trois ans, mais j’ai fini par me sentir coincé : le douar ne me suffisait pas pour manger, et la télévision nous avait tous affolé l’entrejambe. À Alger, il n’y avait personne au-dessus de votre tête, sauf Dieu. Comme à la mosquée, quand on est assis à la première rangée. Tu as déjà entendu l’expression, j’en suis sûr, « Alger va enquêter ». Ou alors « Alger a dépêché une commission d’enquête ». Ou encore « Alger est informée ». C’est ce qu’on dit aujourd’hui, mais à l’époque, Alger, c’était comme un très haut gradé qui pouvait manger un homme avec les yeux, enlever le pain ou faire disparaître quelqu’un par un coup de téléphone ou, pire, un télex. On en avait tous peur, des télex : le maire, le chef de brigade et, au-delà de tout, nos pères. J’ai donc essayé encore une fois de gagner Alger. Tu as quel âge ? (Je n’aime pas ce genre de question et je suis sûr que le bonhomme avait une arrière-pensée : la tendance, très répandue dans ce pays, est d’évaluer la longueur du sexe au nombre des années ; j’ai esquissé une grimace d’homme soumis pour éviter de parler.) Trente ? J’ai passé mon service militaire près de cette ville (je ne voyais pas le rapport avec sa question, mais bon, la route était tellement longue…). À Zbarbar. Dans la forêt. Dans un bataillon. C’était le service militaire : on avait le choix, soit d’aller au sud défendre personne, soit de rester au nord défendre Alger. Et je l’ai fait. Oui, je le dis. Sans honte. J’y ai cru comme un idiot. Au lieu de défendre le pays, j’ai défendu Alger. Je ne te raconterai pas comment, mais pourquoi ! À l’époque, il ne restait rien d’autre que cette travestie. C’était la seule ville du pays où les morts pouvaient faire du bruit et être honorés par la mémoire. Sinon, ailleurs, les islamistes pouvaient tuer ta mère, ton père et toute ta tribu, que ça ne faisait pas plus de bruit qu’un épandage d’insecticide. Avant d’être affecté là-bas, alors que j’étais encore dans le centre de Djelfa, on avait tous appris les noms de quartiers de cette ville à leur sonorité : Bab El Oued, El Harrach, Kouba, Baraki. Avant, quand j’étais jeune, je retenais des noms de clubs de football ou des rimes de chansons châabi. Pendant les années 1990, c’étaient les noms d’attentats ou de mosquées. Les meilleures barbes, les meilleurs attentats et les meilleures morts, c’était là-bas, pas dans les champs. On la regardait à la télé, Alger, nous demander de la défendre alors qu’elle ne nous payait même pas un casse-croûte quand les nôtres allaient voir un cardiologue illustre, chez elle, au bout de dizaines d’heures de taxi. Et je l’ai défendue, un peu comme ça, sans le savoir. (Regard plongeant vers une partie illisible de sa propre mémoire, secrète, pas encore destinée au partage.)
La nuit (il dépasse un gros camion de produits laitiers ; au loin, les étranges terres broyées sous forme de montagnes), alors que je dormais allongé en travers du seuil de notre baraquement — on ne faisait pas confiance à la sentinelle en cas d’attaque des terroristes —, je riais presque de ma naïveté. Tous les gens des douars sont naïfs : ils croient qu’Alger existe alors que c’est un grand panneau routier qui vous indique les sorties de la ville mais jamais les entrées. Je me disais, je suis là, couché, affamé, loin de mon village, à défendre des gens et des généraux qui s’envoient des vierges, à défendre une ville prostituée qui couche avec des étrangers pendant que des gens comme moi meurent comme des moustiques affolés par une légende. C’était comme être fait cocu par une femme qui n’a même pas daigné être votre épouse. Alger ? C’était la deuxième fois qu’elle me donnait un coup de pied dans le cul. J’y allais parfois en permission mais sans jamais aller plus loin que les environs de la gare de l’Agha. Là, je regardais, puis je m’en allais : tout le monde semble avoir deux dos et vous avez beau chercher à voir un visage ou à croiser un regard, c’est toujours un dos qu’on vous présente. Cette ville me fait peur. Même maintenant, alors que je vis de ne jamais y arriver. Je ne t’explique rien de plus, tu comprendras tout seul, quand tu arriveras au bout des fils, ceux des poteaux électriques. C’est comme ça que je m’amusais à retrouver ma route dans le labyrinthe. Les poteaux mènent toujours aux villes. Tu croyais que j’étais un taxieur comme les autres ? Non, monsieur. Moi j’ai fait la guerre, la route, et j’ai lu quelques livres. Un conseil : va vite dans cette ville puis reviens. Possible que tu me trouves à attendre là où je vais te déposer. (Plaque absurde sur une autoroute sans relais, ni aires de repos et qui ne passe par aucune ville visible : «Ain Defla ». L’autoroute est un immense serpent de béton qui a mangé tous les villages et toutes les villes en chemin.) J’ai défendu Alger pendant qu’elle se faisait baiser dans mon dos par tous, on racontait que des gens, venus d’ailleurs, voulaient la violer, alors que c’est elle qui les avait excités avec ses longues jambes et ses gros seins. Oui, mon fils. Oui, je sais que tu n’as pas l’âge de mon fils. Oui, je sais. (Mon regard, un peu agacé cette fois. J’avais mal aux jambes, parce que je ne pouvais pas les allonger, et il faisait chaud et l’odeur d’animal avait viré à l’acide. Derrière, quelqu’un parlait au téléphone. Les autres dormaient peut-être.) J’étais là, dans les montagnes, à défendre cette putain de ville et quand j’y allais, personne ne me regardait comme un héros, pas même comme une personne vivante. Surtout pas les jeunes filles qui avaient des seins fiers et des regards durs comme des additions. J’en avais mal au sexe quand je me promenais rue Didouche. Vraiment. Les filles y étaient tellement excitantes que je devinais presque, au toucher, dans l’obscur, le sens profond de la révolte des barbus. Une histoire de vagin empalé par un drapeau, entouré d’une toison ou d’une barbe mal rasée. Tu comprends maintenant ? D’ailleurs, c’est quoi ton nom ? (Je lui sers un faux prénom.) Moi, c’est Askri. Prédestiné, tu vois. Ça veut dire « soldat » ou quelque chose de plus ancien. Tu comprends pourquoi je suis le seul taxieur qui conseille à ses passagers de ne pas aller à Alger ? De descendre tant qu’il en est encore temps. De retourner à leurs maisons pour ne pas perdre ce qui leur reste de pays sous la chaussure. Tu dois trouver ça fou, n’est-ce pas ? Un taxieur de la ligne Alger qui déconseille aux gens d’aller sur Alger ! T’en fais pas, je ne crève pas de faim : les gens ne m’écoutent pas, et même si Alger crachait au visage de chaque passager à son arrivée, celui-ci finirait par y revenir, lui ou l’un des siens. Tôt ou tard. Ce n’est pas une ville mais une tentation. (Je regardais le tableau de bord qui ressemblait au dos d’une vache en plastique avec un gros pis en guise de volant. On se trouvait dans cette même vieille 504 que les taxieurs utilisent partout dans le pays. Sauf que celle-ci sentait l’animal, le boeuf sauvage, la sueur, et avait une étrange odeur de copulation mécanique.) Après le service militaire, j’avais décidé de me marier et je me souviens que le jour de mes noces, sur le seuil de la chambre nuptiale, j’ai eu la certitude que je me vengeais d’une autre femme. Qui ? Cette ville. Cette capitale. Elle ne m’aimait pas, elle ne m’a même pas vu, moi qui l’ai défendue avec mon fusil et mes couilles. Tu sais, toi qui sembles si jeune qu’on dirait qu’on peut te vendre de l’air, sache que c’est comme avec n’importe quelle belle femme : vue de près, la peau d’Alger n’est pas si lisse que ça. Ses yeux n’observent personne de précis et regardent tout le monde de haut. J’ai tout compris en une seule nuit. Je m’en souviens : j’avais raté le train de retour vers Blida, et je me suis vu forcé de louer une chambre rue de Tanger, entre l’odeur des soupes, du vomi et des épluchures. C’est à peine si le réceptionniste a accepté de me loger malgré ma carte militaire. Je vais te raconter car… (Là, on passait près d’un barrage de gendarmes et le bonhomme osa, petit geste rigolo, un salut militaire, l’index à la tempe, pour signifier de quel côté il était. Collègue, j’ai dit au motard qui voulait 200 dinars que j’étais un collègue, me dit-il, bifurquant soudain dans son récit, car j’ai été blessé à Zbarbar, et tu sais ce qu’il m’a répondu ? — Non. Il a dit : Je m’en fiche ! Quand je lui ai montré ma carte d’invalide, tu sais ce que je lui ai dit ? — Non. Toi, tu ne sais pas ce que vaut cette carte, mais tes chefs, si. Il m’a laissé partir. J’ai fait la guerre moi, mon p’tit, pas de la moto. Cela m’a un peu amusé de le voir mimer l’ancien moudjahid dans ce pays où ceux qui n’ont pas fait la guerre n’ont même pas le droit d’avoir des dents.) Te raconter donc, car c’est un peu mon histoire, même si elle est arrivée à quelqu’un d’autre. Cette nuit-là, j’ai marché dans Alger, j’ai poussé un peu plus loin que les rues de la gare. Pendant deux ou trois heures. J’ai regardé en surveillant mes poches, comme on m’avait dit de le faire au village avant que je m’en aille, pour la première fois, voir une ville de près. J’ai regardé et j’avais cette drôle d’impression : je ne marchais pas dans une ville mais à l’intérieur d’un grand estomac. ll y avait de la salive morte partout, des odeurs d’aliments, des restes de frites sur les trottoirs, des enseignes de vendeurs de loubia, du pain jeté dans les caniveaux. Des poubelles entières avalées par le monstre. Partout, il y avait des restes de repas ou des restes d’hommes. Des restes d’immeubles occupés dans la hâte après la fuite des colons. Cela me donnait la sensation de la saleté, comme si je regardais l’entre-jambe d’une femme de trop près. Surtout pour les entrées d’immeubles et les escaliers glissants de sécrétions. Ah mon Dieu ! Qu’elle était sale cette ville que tout le monde avait voulue au bout de son sexe, à Commencer par Barberousse. D’ailleurs, c’est simple : C’est une ville qui est possédée par les voleurs la nuit, et par les puissants le jour. Y a pas de place pour des gens comme nous qui sommes toujours accompagnés, jusqu’au dernier virage du village, par les arbres, l’eau propre, les feuilles mortes ou les cigognes, par exemple. Que des restes et des départs. C’est un immense estomac (grimace qui s’approche de mon visage pendant que je surveille le volant d’un coup d’oeil oblique), qui mange des gens qui, eux-mêmes, mangent, à leur tour, d’autres gens et ainsi de suite. Entre les dents, on peut voir de grosses vitrines, des voitures incroyables ou les voitures noires des gens du Pouvoir qui ne savent pas combien de nuits blanches j’ai passées à les protéger. Ce n’est vraiment pas la même ville dont on parle à la télé : quand je la regarde, il me semble qu’Alger est une sorte de trône ; alors qu’en fait, ce n’est qu’un évier d’histoires. Alger la Blanche ? (Rire atroce, forcé, effrayant.) Il n’y a rien de blanc dans cette ville, le drap d’une pute n’est jamais blanc. J’ai marché et j’ai marché et je me suis souvenu de cette histoire qui n’est pas vraiment une blague.
C’est quelqu’un qui aurait pu être ton père, ou le mien. Le genre Boubeguerra. Tu te rappelles boubeguerra ? C’est comme ça qu’Alger nous imaginait et se foutait de nous durant les années 1970. Les aventures de Boubeguerra, le paysan, venu en ville se faire rouler par un rat des villes à la descente de son total. C’est comme ça que ça s’est passé pour ce vieux dont je te raconte l’histoire : on lui vola ses 1 700 dinars déa qu’il mit les pieds sur le sol algérois, alors qu’il était penché à récupérer son cabas. Les 1 700 dinars qu’il avait enroulés dans sa poche et qui devaient payer son retour, son repas et sa visite médicale. Tu sais ce qu’il fit toute la journée quand il découvrit qu’il n’avait plus un sou ? — Non. Il alla partout, scruta toutes les terrasses de café, les salons, les bars, les grosses voitures où étaient plantées des chevelures blondes, les grosses maisons d’Hydra, les belles parures et les chaussures invraisemblables à cause de leur prix, en se marmonnant la même phrase : Oui, oui, bande de chiens, continuez à vous amuser avec mon argent. Profitez-en, bande de voleurs, mangez et buvez avec mon fric… (Il m’arracha quand même un sourire, le mufle.) Il croyait que la ville lui avait fait les poches et qu’elle s’amusait avec ses minables 1 700 dinars et que cette somme servait à payer toutes les extravagances de ses habitants. Ça te fait sourire ? Dommage, car ce n’est pas une blague : c’est comme ça que les gens comme toi et moi doivent regarder cette ville : un endroit qui s’amuse avec notre argent volé, nos récoltes. Moi, mes 1 700 dinars, je les vois parfois quand j’arrive au bout de ma course. Je les vois sur le cou d’une femme par exemple, au collier qu’elle porte, ou au portable qu’elle fourre dans son sac à main. Parfois, c’est une simple paire de chaussures de luxe qui me rappelle mes 1 700 dinars. Y a notre argent qui est dans cette ville (un air sérieux soudain, comme s’il s’adressait à un peuple et pas à une autoroute. Quel voyage ! Finalement, tous les gens qui conduisent finissent par devenir des phares, me dis-je). Eh oui, c’est finalement ça, Alger : une femme qui vous empale et qui vous prend l’argent à l’arrivée. Pendant que tu cherches sa bouche et ses lèvres, elle fouille dans ta poche. Maintenant je n’y pense plus, j’ai une femme et trois enfants et une cicatrice de balle sur la cuisse gauche. Ça me suffit pour rester loin de cette ville. Je me contente d’y er des gens comme toi, ils me payent et hop, reprends la route du retour, avec la tentation de conduire même à travers les champs, de charger un mur. À la gare, c’est à peine si je laisse l’empreinte de ma chaussure ou si je prends un café. Je ne fais rien de plus. J’ai mis des années à trouver ma route et pourtant c’était simple, dans ce labyrinthe : il suffisait de suivre les câbles des poteaux, pas les indications, ni Ies histoires. Ah (surpris, je tourne la tête vers lui : j’ai cru entendre un cri, l’expression d’une douleur, celle d’un homme ou d’un taureau éperonné) : la voilà ! (Moi, je ne vois rien sinon le début d’une zone industrielle, puis une plaque indiquant l’aéroport, puis le ciel du crépuscule, puis une ville encore en désordre qui dégringole des hauteurs par intermittence.)
La voilà.
(Il souffle. Bruit rauque. Des marines qui s’élargissent.) Un jour, elle va me tuer. Cette route va me tuer. Elle m’a transformé en monstre (il ne cessait de répéter cette phrase, et j’étais d’accord avec lui. J’étais fatigué. Les autres passagers se réveillent. Je regardai le chauffeur et je fus pétrifié : il avait l’air encore plus seul maintenant. Comme coincé dans un règne à part. Plutôt coincé entre deux règnes : moitié homme, moitié…) Ah, Alger !
Published July 26, 2020
Excerpted from Kamel Daoud, La Préface du Nègre, Éditions Barzakh, Alger 2008, republished in France in 2011 with the title Minotaure 504, Sabine Wespieser éditeur, Paris, 2011
© Sabine Wespieser éditeur, 2011
In Algiers, everyone’s living off of my money, my dough, the 1700 dinars stolen from me near the train station seventeen years ago.
What do you think? That a taxi ride and a bag in your hand mean you’ve reached Algiers? You crack me up. How many others are there just like you, do you think? Millions! All of the millions in this country. Everyone wants to go to Algiers, have her cook for them, feed them, give them a roof, carry their children on her back and show them the sea she calls her own. You know (he leaned toward me with a small-eyed gaze that sought to be sly, and so the other passengers wouldn’t overhear us), Algiers isn’t a woman, and it’s not a man like you and me. It’s…it’s like something I saw once on Canal +. Yeah, I was watching the late-night stuff on Canal + like everybody, but I own up to it (he laughed, lifting his chin to the other passengers in the rearview mirror), I don’t hide it. Once I saw—God forbid—a sort of woman who had breasts and male genitals pointing toward the camera. Algiers is the same—a transsexual, as they say. Nobody knows. Some people want to suckle her breasts, and she impales them. Some people want to marry her, and she’s the one to deflower them. (The road caught his gaze once again, and he broke off to wander through his memory. It was the new highway, which now cut across the north like a straight line, so Algiers was no longer the farthest city from every corner of the country.) You know, I used to be like you: I also left to go to Algiers. It was years ago. And actually, it took me years to finally get there. My dad was the one who wanted it. A time came when he decided that I should earn my bread myself. He was a strong man, an enormous bull who worked my mother and the fields for years. (It was then that I figured out the nature and origin of the smell stinking up the taxi: a smell of animal, barn, fur and urine mixed with straw. He braked slightly then started up again.) I’m going to tell you. (I didn’t have anything else to do, at any rate, apart from listen to this stocky fellow, with a head so large it seemed bolted to the seat, short neck and beastly back.) I tried to leave for Algiers in the 1970s. Let me tell you, I’m a true Algerian: I was born in a village, I know my parents, not like those city windbags. My mother had two husbands and me, just one dad. The first was a manager at the prefecture, an official, like they say, who I don’t think ever managed to awaken my mother’s desire. That’s what she said to me, or at least, that’s what I figured out from how she told me she met my father in a field of tall grass. So I know where I come from, but I had nowhere to go. I remember. Not my trip, but leaving the village. Heading east. That’s where I waited for it. Do you know what I’m talking about? No, you don’t know, you young people. I was waiting for the bus to Algiers. There was one that went through every village in the country in the 1970s. Around four in the morning. I was young. But I was also afraid, because I didn’t have any facial hair yet (his moustache and beard were bushy and he hid behind them as though they were a wall, or the horns of a bull who talked too much, because he was lonely). That was my first false start. The bus came an hour late that day, but I was already heading home to my father’s. I don’t know what was happening in my chest. It wasn’t fear. Maybe just the first taste of disgust. Like I was being forced to marry an ugly, money-grabbing woman. At seventeen, I wasn’t yet ready to sleep with a prostitute. And then I said to myself, why leave the people I love for people who don’t exist, at the other end of a huge maze of roads and train stations. I had my bag, money and every document I possessed. You know what (he leaned toward me again, and I tried not to catch his eye so as not to give him too much encouragement, but there were still four hours of the journey to fill with his story, four hours of watching the utility poles go by), you know what, I almost ran back to the douar. As though everyone I knew, my cousins, my grandmother and the butcher, Djelloul, had almost died because I was leaving and been carried off by their separation from me. I stayed there for three years, but I ended up feeling stuck: the douar didn’t give me a livelihood, and television had lit up our loins. In Algiers, there wasn’t anybody over your head, except God. Like at the mosque, when you’re sitting in the first row. I’m guessing you’ve already heard the expression, “Algiers is on the case”. Or “Algiers has sent a commission of inquiry”. Or perhaps, “Algiers is informed”. That’s what we hear today, but at the time, Algiers was like a high-ranking officer who could eat a man eyes and all, take their livelihood or make someone disappear with a phone call, or worse, a telex. Everyone was afraid of telexes—the mayor, the brigade chief, and above all the rest, our fathers. So I tried once again to reach Algiers. How old are you? (I disliked this sort of question and was sure the fellow had a hidden agenda: people all over the country tended to equate the length of your penis with how old you were; I grimaced deferentially to avoid speaking.) Thirty? I did my military service near that city (I couldn’t see any connection with his question, but anyhow, the road was so long…). In Zbarbar. In the forest. In a battalion. It was military service—you had the choice between going to the south to defend no one, or staying in the north to defend Algiers. That’s what I did. Yes, you heard me. I’m not ashamed. I believed it, like an idiot. Instead of defending the country, I defended Algiers. I won’t tell you how, but why! At the time, that transvestite was all that remained. It was the only city in the country where the dead could cause a ruckus and tribute could be paid to their memory. Everywhere else, Islamists could kill your mother, your father and your whole tribe, it didn’t cause any more of a ruckus than a bit of crop-dusting. Before being posted there, when I was still in the center of Djelfa, we had all learned the names of the city’s neighborhoods through their sounds: Bab El Oued, El Harrach, Kouba, Baraki. Before, when I was young, I could remember the names of soccer clubs or the rhymes of chaabi songs. During the 1990s, that turned into names of attacks or mosques. The best beards, the best attacks and the best deaths were there, not in the fields. We watched Algiers on TV, asking us to defend her—when she wouldn’t even pay us a bite to eat when a family member went to see a renowned cardiologist there, an hours-long taxi ride away. And that’s sort of how I defended her, without realizing it. (Downward gaze into an obscure, secret part of his own memory that wasn’t yet intended for sharing.)
At night (he passed a large dairy truck; in the distance were strange, devastated lands with mountainous silhouettes), as I slept stretched across the entrance of our camp—we didn’t trust the guard in the event of a terrorist attack—I almost laughed at my own naivety. Everyone who comes from a douar is naïve: they think that Algiers exists, but really it’s just a big highway sign pointing out the city exits but never the entrances. I said to myself, here I am, lying down, starving, far from my village, defending people and generals who send in virgins to defend a prostitute of a city that sleeps with foreigners while people like me die like panicked mosquitos, for a myth. It’s like being cheated on by a woman who didn’t even deign to be your wife. Algiers? That was the second time she gave me a kick in the ass. Sometimes I went there during my leave but I never went beyond the vicinity of Agha station. I looked around there, then I left. It was like everyone had two backs, and try as you might to glimpse a face or catch someone’s eye, all you ever got was a turned back. The city scared me. Even now, when I earn my living steering clear of it. I don’t have any more explanations for you, you’ll understand on your own, when you get to the end of the wires, the ones on the utility poles. That’s how I kept myself amused finding my way in the maze. The poles always lead to cities. Did you think I was a taxi driver like all the rest? No, sir. I was in the war, on the road, and I’ve read a few books. A word of advice: be quick in the city and come back. You might very well find me waiting at the spot where I drop you off. (Absurd sign on a highway devoid of any stopover points or rest areas and that goes through no visible city: “Aïn Defla”. The highway was an enormous concrete snake that ate all of the villages and cities on its path.) I defended Algiers while she got fucked behind my back by everyone, the story goes that people who had come from afar wanted to rape her, but she’s the one who turned them on with her long legs and big breasts. Yes, my son. Yes, I know that you’re younger than my son. Yes, I know. (I looked a bit irritated this time. My legs hurt because I couldn’t stretch them out, and it was hot and the animal smell had gone slightly acidic. In the back, someone was talking on the phone. The others might have been sleeping.) I was there, in the mountains, defending this fucking city and when I went there, no one looked at me like a hero, or even like a living person. Especially not the young women with proud breasts and eyes as unforgiving as the bills you owe. My crotch hurt when I went down Rue Didouche. Really. The girls there were so sexy that I could just about fathom the underlying sense of the bearded revolt, groping in the dark. A matter of a vagina impaled by a flag, surrounded by a bush or a stubbly beard. Do you understand now? And what’s your name, by the way? (I gave him a fake name). Mine is Askri. Fate, you see. It means “soldier”, or something older. Do you see why I’m the only taxi driver who advises his passengers not to go to Algiers? To get out while there’s still time. To go back to their homes, to not lose what’s left of the country underfoot. You must think it’s crazy, right? A taxi driver on the Algiers line who tells people not to go to Algiers! Don’t worry, I’m not starving—people don’t listen to me, and even if Algiers spat in the face of every passenger upon their arrival, they’d end up going back there, them or their family. Sooner or later. It’s not a city, it’s a temptation. (I was looking at the dashboard, which resembled the back of a plastic cow with a big teat for a wheel. We were in one of the same old 504s that taxi drivers all over the country used. But this one smelled like animal, wild steer, sweat, and had a strange odor of mechanical mating.) After my military service, I decided to get married and I remember how the day of my wedding, at the entrance to the nuptial chamber, I was convinced that I was taking revenge on another woman. Who? That city. That capital. She didn’t love me, she hadn’t even seen me, as I defended her with my rifle and my balls. You look so young, you’d think someone could sell you air, but you know what? That’s how it is with any beautiful woman: up close, the skin of Algiers isn’t as smooth as you think. Her eyes don’t observe anyone in particular, and look at everyone from above. I understood everything in one night. I remember: I had missed the train back to Blida, and I found myself forced to rent a room on Rue de Tanger, where the smells of soup, vomit and peelings mingled. The receptionist only grudgingly accepted to take me in even with my military card. I’m going to tell you because… (Right then, we passed near a police roadblock and the guy dared a buffoon move, a military salute, index on temple, to indicate what side he was on. Colleague, I told the motorcyclist who wanted 200 dinars that I was a colleague, he said, abruptly deviating in his story, because I was hurt in Zbarbar, and you know what he responded? “No.” He said, I don’t care! When I showed him my disabled card, do you know what I said to him? “No.” You don’t know what this card is worth, but your bosses do. He let me go. I was in the war, kid, not in bikes. I found it sort of funny to see him imitate the old mujahid, in this country where if you haven’t gone to war, you don’t even have the right to have teeth.) Tell you then, because it’s partially my own story, even if it happened to someone else. That night, I walked around Algiers, I went a bit beyond just the streets around the train station. For two or three hours. I looked around, being careful of my pockets, like I was told to do in the village before I left for the first time to see a city up close. I looked around and I had this strange sense of walking not in a city, but inside a huge stomach. There was dead saliva everywhere, smells of food, the remnants of fries on the sidewalks, loubia stands, bread thrown into the gutter. Whole garbage cans swallowed by the monster. Everywhere, there were remnants of meals or remnants of people. Remnants of buildings hastily occupied after the colonizers fled. It made me feel dirty, like I was looking too closely between a women’s legs. Especially for the building entrances and stairwells slippery with secretions. My God! How dirty this city was, for which everyone’s member had ached, starting with Barbarossa. It’s simple, for that matter: it’s a city controlled by thieves at night, and the powerful during the day. There’s no room for people like us, accustomed to trees, clean water, dead leaves or storks, for example, until the last bend out of the village. Nothing but remnants and departures. It’s a huge stomach (his grimace closed in on my face as I monitored the steering wheel from the corner of my eye), that eats people who themselves in turn eat other people, and so on. Between the teeth, big windows are visible, incredible cars or the black cars of those in Power who have no idea how many times I’ve stayed up all night protecting them. It’s not really the same city they talk about on television: when I watch it, Algiers comes off as a sort of throne; but in fact, it’s a basin full of stories. Algiers the White? (Atrocious, forced, terrifying laughter.) There’s nothing white about this city, a whore’s sheet is never white. I walked and I walked and I remembered this story that wasn’t really a joke.
It’s someone who could have been your father, or mine. The Boubeguerra type. Do you remember Boubeguerra? That’s how Algiers imagined and made fun of us during the 1970s. The adventures of Boubeguerra, the peasant, who came to the city to be played for a fool by a city rat upon getting out of his taxi. That’s how it went for the old man whose story I’m telling you: his 1700 dinars were stolen from him as soon as he set foot in Algiers, while he was bending down to get his bag. The 1700 dinars he had rolled up in his pocket and that were meant to pay for his return trip, his meal and his medical appointment. You know what he did all day when he discovered that he didn’t have a cent left? “No.” He went all around, scrutinized all of the café terraces, the salons, the bars, the big cars carrying blonds, the big houses in Hydra, the beautiful jewels and unbelievably expensive shoes, muttering the same thing to himself: Yeah you bunch of dogs, keep having fun with my money. Enjoy it, bunch of thieves, eat and drink with my money… (He even got a smile out of me, the oaf). He thought that the city had emptied his pockets and was having fun with his pathetic 1700 dinars, and that this sum was helping pay for all of the extravagances of its inhabitants. You think it’s funny? Too bad, it’s not a joke—it’s how people like you and I have to look at this city: a place that has a good time with our stolen money, our harvests. My 1700 dinars, sometimes I see them when I get to the end of my fare. I see them around a woman’s neck for example, the necklace she’s wearing, or the cell phone she sticks in her handbag. Sometimes, a simple pair of fancy shoes will remind me of my 1700 dinars. Our money is in this city (a serious air all of the sudden, as though he were speaking to a people and not a highway. What a journey! In the end, everyone who drives ends up turning into a headlight, I told myself). And well, ultimately, that’s what Algiers is—a woman who impales you and takes your money upon your arrival. While you seek out her mouth and her lips, she’s digging in your pocket. I don’t think about it anymore, I have a wife and three children and a bullet scar on my left thigh. That’s enough to keep me away from this city. I settle for bringing people like you here, they pay me and bingo, I hit the road back home, even tempted to drive through the fields, to charge a wall. At the train station, my shoes barely hit the ground, a coffee at most. Nothing more. It took me years to find my path even though it’s simple in this maze: I just had to follow the utility poles, not the directions, or the stories. Ah (surprised, I turned toward him: I thought I had heard a cry, an expression of pain, that of a man or a bull being spurred on), there she is! (All I could see was the beginning of an industrial area, then a sign for the airport, then the twilight sky, then a still-disorderly city tumbling down from the heights intermittently.)
There she is.
(He exhaled. A hoarse sound. Nostrils flaring.) One day, she’s going to kill me. This road is going to kill me. It’s turned me into a monster (he kept repeating this sentence, and I agreed with him. I was tired. The other passengers were waking up. I looked at the driver and I was petrified: he looked even more alone now. As though he were stuck in a different realm. Or stuck between two realms: half man, half…) Ah, Algiers!
Published July 26, 2020
© Sabine Wespieser éditeur 2011
© Specimen 2020
Ad Algeri tutti vivono con i miei soldi, la mia grana, i 1.700 dinari che mi hanno rubato vicino alla stazione diciassette anni fa.
E tu cosa credi? Che per arrivare ad Algeri basta avere un borsone e prendere il taxi? Ma fammi il piacere! Secondo te quanti sono quelli come te? Milioni! Tutti i milioni di questo Paese. Tutti vogliono andare ad Algeri a chiederle di cucinare per loro, di dargli da mangiare, di ospitarli, di prendere in collo i loro bambini e portarli a vedere il suo mare. Ti dico una cosa (e qui si volta verso di me per non farsi sentire dagli altri, con due occhietti che ostentano malizia), Algeri non è una donna, e neanche un uomo come noi. È… è come uno che ho visto un giorno su Canal +. Sì, ogni tanto guardo Canal + di notte, come tutti comunque, solo che io lo dico (e ride mentre accenna col mento ai nostri compagni di viaggio dallo specchietto retrovisore), io non lo nascondo. Ho visto, che Dio ci aiuti, una specie di donna che aveva i seni e il sesso da uomo puntato verso la telecamera. Be’, Algeri è così, è, come si dice, transessuale. E nessuno lo sa. C’è gente che vuole poppare da lei, e lei li incula. C’è gente che vuole sposarla, ed è lei che li svergina. (Poi la strada cattura di nuovo il suo sguardo e così mi lascia in pace per vagare tra i ricordi. Eravamo sull’autostrada nuova: ormai attraversava tutto il nord in linea retta e Algeri aveva smesso di essere la città più lontana da ogni angolo del Paese.) Io ero come te, sai, anch’io sono partito per Algeri. Tanto tempo fa. Tra l’altro mi ci sono voluti anni alla fine per arrivarci. Era mio padre che lo voleva. A un certo punto aveva deciso che dovevo guadagnarmi il pane da solo: era un uomo forte, un toro gigantesco che aveva lavorato i campi e mia madre per anni. (A quel punto ho colto la somiglianza e capito l’origine di quel puzzo che appestava il taxi, un odore animalesco, di stallatico, pelame e urina mischiati a paglia. Un tocchetto ai freni ed ecco che riparte). Adesso te lo racconto. (Non avevo nient’altro fare, tanto valeva ascoltare quel tracagnotto. Aveva la testa così grossa da sembrare avvitata al sedile, il collo cortissimo e la groppa da animale). Ho provato a partire per Algeri negli anni Settanta. Sai, io sono un algerino vero: sono nato in un villaggio, so chi sono i miei genitori, non come i ciarlatani della città. Mia madre ha avuto due mariti; io, solo un padre. Il primo lavorava in prefettura, faceva il dirigente, era un, come si dice, un responsabile, che non ha mai saputo risvegliare il desiderio in mia madre, e lo credo bene. Me l’ha detto lei, o forse l’ho dedotto io quando mi ha raccontato di come aveva conosciuto mio padre in un campo d’erba alta. Perciò sapevo da dove venivo, ma non dove andavo. Me lo ricordo bene. Non il viaggio, ma quando ho lasciato il villaggio. Per l’Est. L’ho aspettata là. Sai chi? No, voi giovani non potete saperlo. Ho aspettato la corriera per Algeri. Negli anni Settanta ce n’era una che passava per ogni villaggio del Paese. Verso le quattro del mattino. Ero giovane. E avevo anche paura, perché non avevo ancora i baffi (ora invece li aveva belli folti e ci si nascondeva dietro, come dietro un muro o dietro le corna di un toro troppo loquace per colpa della sua solitudine). È stata la mia prima falsa partenza. Quel giorno la corriera è arrivata con un’ora di ritardo, ma io ero già sulla via del ritorno che camminavo verso la casa di mio padre. Chissà che mi è preso. Non era paura. Forse solo un primo moto di disgusto. Come se mi stessero obbligando a sposare una donna brutta e vogliosa. A diciassette anni non ero ancora pronto ad andare a letto con una prostituta. E poi mi sono detto: perché mai dovrei lasciare delle persone che amo per altre che non esistono, in fondo a un labirinto di strade e stazioni? Avevo il mio borsone, dei soldi e tutti i tipi di documenti possibili. Sai (si avvicina di nuovo e io provo a non guardarlo per non incoraggiarlo troppo, ma ci sono ancora quattro ore di viaggio da riempire con la sua storia, quattro ore di strada e solo il filo dei pali elettrici da seguire con lo sguardo), sai, sono tornato quasi di corsa al douar. Era come se tutti quelli che conoscevo, i miei cugini, mia nonna e il macellaio Djelloul, avessero rischiato di morire per colpa della mia partenza e si fossero arrabbiati perché mi ero allontanato. Sono rimasto là per altri tre anni, ma ho finito per sentirmi in trappola: il douar non bastava a mangiare e la televisione ci aveva rincoglioniti tutti. Ad Algeri, invece, sopra di te non c’era nessuno, a parte Dio. Come alla moschea, quando ti siedi in prima fila. Di sicuro avrai sentito il detto “Algeri indaga”. Oppure “Algeri ha inviato una commissione d’inchiesta”. O ancora “Algeri è informata”. Oggi si dice così ma, all’epoca, Algeri era come un ufficiale di alto rango che poteva mangiarsi un uomo con gli occhi, toglierti il pane di bocca, far sparire qualcuno con una telefonata o, peggio, con un telex. Avevamo tutti paura dei telex: il sindaco, il comandante di brigata e, soprattutto, i nostri vecchi. Comunque poi ci ho riprovato, a partire alla conquista di Algeri. Quanti anni hai tu? (Certe domande non mi sono mai piaciute e di sicuro la domanda aveva un doppio fine: c’è una tendenza molto diffusa in questo Paese, che è giudicare la lunghezza del tuo sesso in base agli anni che hai. Accenno una smorfia indulgente per evitare di parlare.) Trenta? Vicino a questa città ci ho fatto il militare (non vedo il nesso con la domanda, ma va be’, la strada è talmente lunga…). A Zbarbar. Nella foresta. In un battaglione. Il militare funzionava così, potevi scegliere: o andavi al Sud a difendere chiunque altro o stavi al Nord a difendere Algeri. E io l’ho fatto. Sì, e qui lo dico. Senza vergogna. Ci ho creduto come uno scemo. Invece di difendere il Paese, ho difeso Algeri. Adesso non sto a spiegarti come, ma ti dico perché. All’epoca era rimasta solo lei, quella travestita. Era l’unica città del Paese dove i morti facevano scalpore e la loro memoria veniva onorata. Altrove, invece, i musulmani potevano anche ucciderti la madre, il padre e tutta la tribù, e la cosa non avrebbe fatto più notizia di uno spruzzo d’insetticida. Prima di essere mandato di stanza laggiù, quando stavo ancora al campo di Djelfa, i nomi dei quartieri di Algeri li sapevamo a memoria a forza di sentirli dire: Bab El Oued, El Harrach, Kouba, Baraki. Prima ancora, quand’ero piccolo, sapevo tutti i nomi delle squadre di calcio e le rime delle canzoni châabi. Negli anni Novanta è toccato ai nomi degli attentati e delle moschee. Le barbe più famose, gli attentati più famosi e le morti più famose, tutto succedeva là, mica in campagna. La vedevamo in TV, Algeri, che ci chiedeva di difenderla, e però, quando i nostri vecchi dovevano sorbirsi decine di ore in taxi per andare da lei a farsi visitare da un cardiologo illustre, lei non ci pagava neanche la merenda. E io l’ho difesa, un po’ così, senza saperlo. (E qui il suo sguardo sprofonda verso una parte illeggibile della memoria, una zona segreta, non ancora pronta a essere condivisa.)
Di notte (supera un grosso camion di latticini; in lontananza, le strane terre macinate a forma di montagne), quando dormivo sdraiato di traverso sulla soglia del nostro baraccamento – nessuno si fidava della sentinella in caso di attacco dei terroristi – ridevo quasi della mia ingenuità. La gente dei villaggi è ingenua: credono che Algeri esista e invece è un grande cartello stradale che indica le uscite dalla città ma mai le entrate. E pensavo, sono qua, sdraiato, affamato, lontano dal mio villaggio, a difendere delle persone e dei generali che si scopano delle vergini, a difendere una città che si prostituisce, che va a letto con gli stranieri mentre quelli come me muoiono come zanzare impazzite per una leggenda. È come farsi incornare da una donna che non si è neanche degnata di sposarti. Algeri? Era la seconda volta che mi dava una pedata nel culo. A volte ci andavo in licenza, ma restavo sempre nei dintorni della stazione di Agha. Là rimanevo a osservare e poi me ne andavo: sembra che tutti abbiano due schiene ed è inutile che provi a scovare un volto o incrociare uno sguardo, gira e rigira ti si presenta sempre e solo una schiena. Quella città mi fa paura. Anche adesso che cerco di non arrivarci mai. Ma non voglio spiegarti più niente, capirai da solo quando arrivi in fondo ai fili, quelli dei pali elettrici. È così che mi divertivo a ritrovare la strada nel labirinto. I pali portano sempre alle città. Credevi che fossi un tassista come gli altri? Nossignore. Io ho fatto la guerra, la strada, e ho anche letto qualche libro. Un consiglio: sbriga le tue cose in città e poi vieni subito via. Potresti anche trovarmi ad aspettare proprio là dove ti avrò depositato. (Un cartello assurdo su un’autostrada senza aree di sosta né tappe intermedie, e che non passa attraverso alcuna città visibile: “Aïn Defla”. L’autostrada è un immenso serpente d’asfalto che ha inghiottito tutti i villaggi e le città sul suo percorso.) Ho difeso Algeri mentre lei si faceva fottere da tutti alle mie spalle, si raccontava di gente venuta da fuori che voleva violentarla, ma era lei che li aveva provocati, con le sue gambe lunghe e i suoi grossi seni. Eh sì, figlio mio. Sì, lo so che non hai l’età di mio figlio. Sì, lo so. (Il mio sguardo stavolta era un po’ infastidito. Mi facevano male le gambe, era caldo e l’odore di animale si era inacidito. Dietro qualcuno parlava al telefono. Gli altri forse dormivano.) Stavo là, in mezzo alle montagne, a difendere quella puttana di città, e quando ci andavo, nessuno mi considerava un eroe e nemmeno un essere vivente. Soprattutto le ragazze, che avevano i seni superbi e gli occhi spietati come i conti da pagare. Quando camminavo in via Didouche mi faceva male il sesso. Davvero. Lì le ragazze erano così eccitanti che quasi indovinavo, al tatto, nel buio, il senso profondo della rivolta dei barbuti. Una questione di vagine impalate con una bandiera, circondate da un vello o da barbe mal rasate. Capisci adesso? E poi, com’è che ti chiami tu? (Gli rifilo un nome falso). Io mi chiamo Askri. Predestinato, come vedi. Vuol dire “soldato” o qualcosa di ancora più antico. Capisci perché sono l’unico tassista che consiglia ai suoi passeggeri di non andare ad Algeri? Di scendere finché sono ancora in tempo. Di tornare alle loro case per non perdere quel poco di Paese che gli resta sotto le scarpe. Ti pare una follia, eh? Un tassista della linea Algeri che sconsiglia alla gente di andare ad Algeri! Non preoccuparti, non muoio mica di fame: nessuno mi ascolta, e anche se Algeri sputasse in faccia a ogni mio passeggero al suo arrivo, quello finirebbe per tornarci, lui o la sua gente. Prima o poi. Non è una città, è una tentazione. (Guardo il cruscotto, somiglia al dorso di una mucca di plastica con una mammella enorme a guisa di volante. Era una vecchia Peugeot 504, la stessa che usano tutti i tassisti del Paese. Solo che questa puzzava di animale, di bovino selvaggio, di sudore, e aveva uno strano odore di copulazione meccanica.) Dopo il militare ho deciso di sposarmi e ricordo che il giorno del matrimonio, sulla soglia della camera nuziale, ho avuto la certezza che mi stavo vendicando di una donna. Di chi? Di questa città. Di questa capitale che non mi ha mai amato, che non mi ha mai nemmeno visto, io che l’ho difesa col fucile e con le palle. E tu, che sembri così giovane che ti si potrebbe vendere aria fritta, sappi che è come ogni altra bella donna: vista da vicino, la pelle di Algeri non è liscia come sembra. I suoi occhi non guardano nessuno di preciso e osservano il mondo intero dall’alto. Ho capito tutto in una notte. E la ricordo bene: avevo perso il treno per tornare a Blida, cerco una camera in Rue de Tanger, tra odori di minestre, vomito e immondizia, e per poco la receptionist non mi manda via, nonostante il mio tesserino militare. Te lo racconto perché… (Qui passiamo vicino a un posto di blocco della polizia e lui osa accennare un saluto militare con un gesto ironico, portandosi l’indice alla tempia, per mostrare da che parte sta. Collega, all’agente in moto che voleva duecento dinari ho detto che ero un collega, mi spiega deviando improvvisamente dal suo racconto, perché sono stato ferito a Zbarbar, e sai che mi ha risposto? — No. Mi ha detto e chi se ne frega! Quando gli ho mostrato la mia tessera di invalido, sai cosa gli ho detto? — No. Gli ho detto tu non sai quanto vale questa tessera, ma i tuoi superiori invece sì. Mi ha lasciato andare. Io son stato in guerra, bello mio, mica in moto. Mi ha fatto ridere vederlo scimmiottare un vecchio moudjahid, in questo Paese dove chi non ha fatto la guerra non ha neanche il diritto di avere i denti). Insomma, te la racconto perché è un po’ la mia storia, anche se è capitata a qualcun altro. Quella notte ho camminato per Algeri e mi sono spinto un po’ più in là delle solite vie della stazione. Ho girato per due o tre ore. Mi guardo in giro senza perdere di vista le mie tasche, come mi avevano detto di fare al villaggio prima che me ne andassi, per la prima volta, a vedere una città da vicino. Mentre guardo qua e là ho una strana impressione: non sto camminando in una città ma dentro a uno stomaco enorme. C’è della saliva morta dappertutto, e odori di roba da mangiare, rimasugli di patate fritte sui marciapiedi, insegne di venditori di loubia, pane gettato nei canaletti di scolo. Interi cassonetti trangugiati dal mostro. Ci sono avanzi di cibo e scorie umane ovunque, e palazzi in rovina occupati in fretta subito dopo la fuga dei coloni. Quella vista mi dà il voltastomaco, è come guardare tra le gambe di una donna troppo da vicino. Soprattutto le entrate delle case e le scale viscide di secrezioni. Buon Dio! Com’era sporca quella città che tutti hanno sempre voluto penetrare, a cominciare da Barbarossa. Eppure è semplice: è una città che è posseduta dai ladri di notte e dai potenti di giorno. Non c’è posto per quelli come noi che fino all’ultima curva del villaggio sono accompagnati dagli alberi, dall’acqua pulita, dalle foglie morte o dalle cicogne, per esempio. Quanti avanzi e partenze. È uno stomaco gigantesco (smorfia che si avvicina alla mia faccia mentre sorveglio il volante guardandolo di sbieco), che mangia persone che a loro volta mangiano altre persone, e così via. Tra i denti si scorgono grandi vetrine, macchine incredibili o auto nere di quelli che contano, e che non sanno quante notti in bianco ho passato a proteggerli. Non è la stessa città di cui si parla in TV: quando la vedo lì, Algeri mi sembra una specie di trono, invece in realtà non è altro che un acquaio di storie. Algeri la Bianca? (Risata atroce, forzata, spaventosa). Non c’è niente di bianco in questa città, il lenzuolo di una puttana non è mai bianco. Ho continuato a camminare e mi sono ricordato di questa storia che non è del tutto una menzogna.
È la storia di qualcuno che avrebbe potuto essere tuo padre, o il mio. Della serie Boubeguerra. Ti ricordi di Boubeguerra? È così che Algeri ci vedeva e ci prendeva in giro negli anni Settanta. Le avventure di Boubeguerra, il topo di campagna che arriva in città e non appena scende dal taxi si fa infinocchiare dal topo di città. Ed è proprio così che è successo al vecchio della storia che sto per raccontarti: gli hanno fregato i suoi 1.700 dinari non appena ha messo piede ad Algeri, mentre si chinava per prendere il suo borsone. I 1.700 dinari che teneva arrotolati in tasca e che gli servivano per pagarsi il viaggio di ritorno, il pranzo e la visita medica. Sai che cosa ha fatto tutto il giorno quando ha scoperto di non avere più un soldo? – No. Si è messo a girare dappertutto, scrutando le terrazze dei caffè, le sale, i bar, le automobili di grossa cilindrata con tanto di capigliature bionde di serie, le grandi ville di Hydra, le splendide parure e le scarpe dai prezzi inverosimili, e borbottando tra sé sempre la stessa frase: Sì, sì, razza di porci, fate pure, divertitevi coi miei soldi. Approfittatene, razza di ladri, mangiate e bevete con la mia grana… (Riesce pure a strapparmi un sorriso, il cafone.) Credeva che la città gli avesse svuotato le tasche e si stesse divertendo con i suoi miseri 1.700 dinari e che quella somma potesse pagare tutte le stravaganze dei suoi abitanti. La cosa ti fa ridere? Male, perché non è uno scherzo, è così che la gente come me e te deve considerare questa città, come un posto che si diverte coi soldi che ci ruba, coi nostri raccolti. Io, i miei 1.700 dinari a volte li vedo al termine della mia corsa. Li vedo al collo di una donna, per esempio, nella collana che porta o nel cellulare che infila in borsetta. A volte è un semplice paio di scarpe di lusso a ricordarmi i miei 1.700 dinari. C’è il nostro denaro in questa città (all’improvviso si fa serio, come se si rivolgesse a un popolo anziché a un’autostrada. Che viaggio! Mi sa che prima o poi tutti quelli che guidano finiscono per diventare dei fari). Proprio così, alla fine Algeri non è che questo: una donna che non appena arrivi ti incula e si prende i tuoi soldi. Mentre cerchi la sua bocca e le sue labbra, lei ti svuota le tasche. Ormai non ci penso neanche più, ho una moglie e tre figli e la cicatrice di un proiettile sulla coscia sinistra. Quanto basta per tenermi lontano da questa città. Mi accontento di portarci la gente come te, mi pagano e via, riprendo la via del ritorno, sono persino tentato di guidare attraverso i campi, di caricare un muro. Alla stazione, è già tanto se ci lascio l’impronta di una scarpa o se prendo un caffè. Non ci faccio nient’altro. Mi ci sono voluti degli anni per trovare l’uscita da questo labirinto, eppure era così semplice, bastava seguire i fili elettrici, non i cartelli, e neanche le storie. Ah (sorpreso, mi volto verso di lui credendo di aver sentito un grido, l’urlo di dolore di un uomo o di un toro infilzato): eccola! (Non vedo niente, solo l’inizio di una zona industriale, poi un cartello per l’aeroporto, poi il cielo al crepuscolo, poi una città ancora sparsa che ruzzola giù dalle alture a intermittenza).
Eccola.
(Soffia. Un suono rauco. Narici che si allargano.) Un giorno mi ucciderà. Questa strada mi ucciderà. Mi ha trasformato in un mostro (continua a ripetere questa frase e io sono d’accordo con lui. Sono stanco. Gli altri passeggeri si stanno svegliando. Guardo l’autista e rimango impietrito: ha l’aria ancora più sola adesso. È come intrappolato in un regno a parte. O meglio, imprigionato tra due regni: mezzo uomo e mezzo…). Ah, Algeri!
Published July 26, 2020
© Sabine Wespieser éditeur 2011
© transl. Specimen 2020
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