Le temps et moi

Written in French by Makenzy Orcel

Add

Tout finit par se plier au temps. Calculateur sans merci, il déambule sans façon, indifférent à nos agitations dans le ventre du monde. Ou tellement attentif qu’il est notre seule motivation et notre seul but. Le maître de toutes nos créations et l’unique juge. On ne le regarde pas passer, c’est lui qui nous regarde passer comme des allumettes. On ne le tue pas, c’est lui qui nous réduit en miettes. Quoi qu’on raconte, les humains en disposent peu. Quelques années. Des brindilles de vies destinées à s’effriter, puis disparaître. En ce qui me concerne, la littérature occupe une bonne partie de ce temps, pour ne pas dire tout. Quand je n’écris pas, je lis. Quand je ne lis pas, je pense au projet en cours, ou à une quelconque voix intérieure à capter, ou simplement à une idée. Parfois tout ça me travaille à la fois. Un travail qui ne finit pas de puiser sa chair dans celle du temps, c’est-à-dire du réel, dans la mémoire individuelle, collective, dans un juste milieu où s’entremêlent des questions existentielles et les profondeurs de la langue.

Il y a aussi le temps consacré à l’écriture, aux voyages, le sentiment (injuste) d’avoir épuisé le monde. Le monde des choses simples, tranquilles, ou celui voilé de vanités, de formules toutes faites, confirmant sa maitrise de ce qui l’aliène, lui permet de flotter dans le vent, conjecturer, gloser sur l’invisible, les pensées tournant à vide. Mais puisque les dieux et les maîtres sont morts, la morale aussi. Puisque la mécanisation du monde, les catastrophes politiques, climatiques, le creusement des inégalités sociales, les guerres semblent être provoqués pour durer, voilà la littérature, telle une capture du temps, pour nous les donner à éprouver. Libérer le vrai de la pierre. Mais la littérature ne tend pas vers le vrai, elle l’est. Rebelle, révoltée, plurielle, polychrome, interstellaire, depuis l’Epopée de Gilgamesh à L’Espace d’un cillement de Jacques Stephen Alexis ou Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez en passant par Les Misérables de Victor Hugo, elle puise sa chair dans le chaos du monde. Elle vient, parle de nous. Et nous invite, élève au-delà de l’observation, de la vampirisation des expériences humaines. Elle est porteuse, le centre de la conscience individuelle-collective. Lieu d’accomplissement du réel. Aucun poète, aucun écrivain ne vit sur la lune, fait ses courses sur la planète Mars. Ils sont là, ils respirent et écrivent parmi nous. Ils meurent aussi parfois asphyxiés, comme tous les damnés qui peuplent leur récit, par le soufre de l’injustice. 

La littérature, telle que je la conçois, pratique est une réévaluation de l’existence, une rencontre entre l’advenu et le déroulement du temps, entre l’individu et l’Histoire — les narratifs historiques, économiques, des luttes des classes expliquent et déterminent les conditions existentielles réelles des individus. Entre la complexité du moi, la multiplication tyrannique des cadres, et la subjectivité des possibles.  

Elle s’engage dans une action formelle, éthique, déterminée par ce besoin absolu de tourner le monde à l’envers, dans le but d’atteindre et faire émerger ses profondeurs non-manifestées. Réinventer le langage — synthèse, reflet, trace de toutes les utopies, de tous les chants humains. Une fenêtre à travers laquelle l’auteur approche, concrétise le monde depuis son enfance émerveillée, confuse, meurtrie. Elle est le renouvellement de la promesse faite à cette enfance ineffable, sans réinventée, et à la poétique de tous ces imaginaires qui l’ont faite et portée. 

En parlant d’émerveillement, je voudrais pouvoir demeurer ce petit garçon qui regarde les avions et imagine la vie et les rêves de leurs passagers, et leur pays de destination. Le petit garçon invente le pays de destination, et le pays devient réel, tangible, habitable. Un jour il partira, tout en sachant qu’il pourra y revenir quand il voudra. Le voyage commence avec la conscience qu’il existe l’autre, un ailleurs profond, étrange, des lieux où on peut circuler, voltiger de liane en liane, changer d’arbre, dirait Jean-Claude Charles, d’où l’on peut mettre le monde en écriture, à partir de soi. Le petit garçon qui regarde les yeux de sa mère en dessinant ces histoires que celle-ci ne racontera pas jamais, sans doute parce que celle-ci est trop occupée à penser à celles et ceux qui ne sont plus, comme pour garder intact le tissu de la vie. Le petit garçon a sans doute trop vu pour son âge, tressé des chemins qui furent longs et pluvieux, mais au bout desquels attend forcément l’aube. Mais il faut croire que les artistes sont malheureux, ils prennent le monde en pleine face. 

Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, j’ai toujours été fasciné par l’idée d’inventer des mondes, des rêves, et replacer mes personnages au centre de leur humanité, de leurs sentiments, les plus instantanés comme les plus lointains, au centre de leurs rêves, avec l’idée que cela a toujours été une quête, et doit le demeurer, comme le récipient qu’on remplit d’un côté et qui se désemplit de l’autre. Que cela ne reflète que le mouvement de la vie. Recommencer. Remettre à zéro le compteur du temps, exploser les verrous de la mémoire, s’en échapper, revenir, toujours revenir, comme la lumière, le sens, l’image poétique chez Whitman, le phrasé de Monk, ou cette phrase seule et autonome capable de remplir le monde. Je passe des heures à ce travail, autrement dit à essayer de trouver quelque chose que je trouverai si seulement j’accepte qu’il soit inachevé, déceptif, une hypothèse du destin. Je continue de chercher, non sans être attentif aux vacarmes de la rue, au nid d’oiseau dans l’arbre face à ma fenêtre, aux doigts virtuoses du pianiste tressant don’t blame me. Je pleure en écoutant Nina Simone, i wish i knew how it would feel to be free… ce que ça ferait de revoir les yeux de ma mère. 

J’aimerais pouvoir écrire de la même façon que ces doigts parcourant le clavier, ou cette voix remplissant mon âme. Parvenir à cette poésie qui ne louvoie pas, ne négocie pas, ne transige pas, ne tire pas son épingle du jeu, ne lâche rien. Bien entendu, le texte a besoin de son ombre, selon Barthes, c’est-à-dire un peu d’idéologie, un peu de représentation, un peu de sujet, mais surtout, pour ma part, il a besoin de son souffle, la voix des autres voix profondes, multiples, insalissables, complexes, de sa poésie.  

Published February 25, 2025
© Makenzy Orcel

Io e il tempo

Written in French by Makenzy Orcel


Translated into Italian by Daniela Marina Rossi

Tutto finisce per piegarsi al tempo. Calcolatore spietato, procede noncurante, indifferente alle nostre agitazioni nel ventre del mondo. O così attento da essere la nostra sola motivazione, il solo scopo. Maestro di tutte le nostre creazioni e giudice esclusivo. Non lo guardi passare, è lui che ci guarda passare come fiammiferi. Non lo uccidi, è lui che ci sgretola. Per quanto si dica, gli esseri umani ne hanno ben poco a disposizione. Qualche anno. Ramoscelli di vita destinati a sbriciolarsi, poi sparire. Per quanto mi riguarda, la letteratura occupa buona parte di questo tempo, per non dire tutto. Quando non scrivo, leggo. Quando non leggo, penso al progetto a cui sto lavorando o a qualche voce interiore da captare, o anche solo a un’idea. A volte tutte queste cose mi rodono dentro. Un lavorio che non smette di trarre la propria carne da quella del tempo, cioè dalla realtà, dalla memoria individuale e collettiva, da una giusta via di mezzo dove le domande esistenziali s’intrecciano alle profondità del linguaggio.

Ma c’è anche il tempo passato a scrivere, a viaggiare, la sensazione (erronea) di avere esaurito il mondo. Il mondo delle cose semplici, tranquille, o quello velato di vanità, di formule preconfezionate, che ne confermano il dominio su ciò che lo aliena, permettendogli di fluttuare nel vento, di congetturare, di speculare sull’invisibile, con i pensieri che girano a vuoto. Ma gli dèi e i maestri sono morti, e con loro la morale. La meccanizzazione del mondo, i disastri politici e climatici, l’aggravarsi delle disuguaglianze sociali e le guerre sembrano provocati per durare, allora ecco che la letteratura, catturando il tempo, è qui per aiutarci a sentire. Per liberare dalla roccia la verità. Ma la letteratura non tende alla verità, semplicemente lo è. Ribelle, indignata, pluralista, policroma, interstellare, da L’epopea di Gilgameš a L’Espace d’un cillement di Jacques Stephen Alexis o a Cent’anni di solitudine di Gabriel Garcia Marquez passando da I miserabili di Victor Hugo, la letteratura trae la propria carne dal caos del mondo. Arriva, parla di noi. E ci invita, ci porta oltre l’osservazione e la vampirizzazione dell’esperienza umana. È portatrice, è il centro della coscienza individuale e collettiva. È il luogo in cui la realtà si realizza. Nessun poeta o scrittore abita sulla Luna o fa la spesa su Marte: sono tutti qui, respirano e scrivono tra noi. E muoiono persino, a volte, asfissiati dallo zolfo dell’ingiustizia, come tutti i dannati che popolano i loro racconti.

La letteratura, per come la intendo io, è una rivalutazione dell’esistenza, un incontro tra l’accaduto e lo scorrere del tempo, tra l’individuo e la Storia – le narrazioni storiche ed economiche delle lotte di classe spiegano e determinano le vere condizioni esistenziali delle persone. Tra la complessità del sé, la moltiplicazione tirannica degli schemi, e la soggettività dei possibili.

La letteratura si impegna in un’azione formale ed etica, determinata dalla necessità assoluta di capovolgere il mondo per raggiungere e portare in superficie le sue profondità immanifeste. Reinventare il linguaggio – sintesi, riflesso, traccia di tutte le utopie, di tutti i canti umani. Una finestra attraverso cui l’autore si avvicina al mondo e lo concretizza fin dalla propria infanzia colma di meraviglia, confusione e dolore. È il rinnovo della promessa fatta a quell’infanzia ineffabile, mai reinventata, e alla poetica di tutti gli immaginari che l’hanno creata e segnata.

A proposito di meraviglia, vorrei poter restare bambino, quello che guardava gli aerei e immaginava i passeggeri, la loro vita, i sogni, le destinazioni che lui si inventava, trasformandole in paesi reali, tangibili, abitabili. Un giorno sarebbe partito, certo di poter tornare lì ogni qualvolta lo avesse desiderato. Il viaggio comincia con la consapevolezza che esiste sempre l’altro, un altrove profondo, strano, fatto di luoghi dove ci si può muovere, volteggiare tra le liane, cambiare d’albero, come direbbe Jean-Claude Charles, dove il mondo può essere scritto partendo da sé stessi. Il bambino che fissa gli occhi della madre disegnando le storie che lei non racconterà mai, forse perché troppo impegnata a pensare a tutti quelli che non sono più, come per mantenere intatto il tessuto della vita. Il bambino che ha già visto troppo per la sua età, che ha intrapreso un groviglio di sentieri lunghi e piovosi, in fondo ai quali però lo attende sempre immancabile l’alba. Ma bisogna credere che gli artisti siano infelici, che il mondo li colpisca in pieno.

Da che ho memoria, mi ha sempre affascinato l’idea di inventare mondi, sogni, e di riportare i miei personaggi al centro della loro umanità, delle loro sensazioni, dalle più immediate alle più remote, al centro dei loro sogni. Sono convinto che questa sia una continua ricerca e che tale debba rimanere, come un contenitore che si riempie da un lato e si svuota dall’altro. Un processo che rispecchia il movimento della vita. Ricominciare. Azzerare il contatore del tempo, far saltare i chiavistelli della memoria, fuggire, tornare, sempre tornare, come la luce, il senso, l’immagine poetica di Whitman, il lessico di Monk, o quell’unica frase sciolta e libera, capace di riempire il mondo. Passo ore e ore a lavorare così, a cercare qualcosa che troverò solo se ne accetto la natura incompiuta, ingannevole, il suo essere un’ipotesi del destino. E continuo a cercare, sempre attento al chiasso della strada, al nido d’uccello sull’albero di fronte alla finestra, alle dita virtuose del pianista che intessono don’t blame me. Quando ascolto Nina Simone piango, i wish i knew how it would feel to be free… chissà come sarebbe rivedere gli occhi di mia madre.

Vorrei poter scrivere allo stesso modo di quelle dita che corrono sulla tastiera o di quella voce che mi riempie l’anima. Raggiungere quella poesia che «non vacilla, non negozia, non scende a compromessi, non si tira indietro, non si arrende mai». Certo, il testo ha bisogno della sua ombra, secondo Barthes, cioè di un po’ di ideologia, un po’ di rappresentazione, un po’ di soggetto, ma soprattutto, per come la vedo io, ha bisogno di un suo respiro, la voce di altre voci profonde, multiple, impercettibili, complesse, insomma, della sua poesia.

Published February 25, 2025
© Specimen


Other
Languages
French
Italian

Your
Tools
Close Language
Close Language
Add Bookmark