Comment peindre une cascade
Written in French by Jérémie Gindre
Quand je m’assieds par terre dans la nature, je suis toujours étonné de sentir aussi précisément les détails du sol sous mes fesses. J’ai plutôt des grosses fesses, et je porte des jeans, pourtant je pourrais facilement faire l’inventaire de ce qui se trouve dessous : aiguilles de pin, lichen, petits éclats d’écorce. Je dérange tout ça en me remuant pour atteindre la sacoche que je porte à la taille. C’est une mini-glacière que j’ai trouvée le premier jour en arrivant à Bozeman. Elle a une contenance de deux bières. Ils ont de très bonnes brasseries dans la région. Je le savais, je m’étais renseigné avant de partir.
Ilse (ma femme) a posé son chevalet sur un rocher en à-pic au-dessus du courant. Je trouve qu’elle prend des risques ici, mais ça ne sert à rien de lui dire. Avant-hier à Yellowstone, elle s’est carrément installée au bord du canyon. Un gouffre de trois cent mètres! Heureusement son chevalet est conçu pour le plein air, avec des caoutchoucs cloutés au bout des pieds et un petit plateau rabattable, qui permet de garder les tubes et les pinceaux à portée de main. Ilse a commencé un tableau qui cadre les chutes de face, avec le V de la vallée en arrière-plan.
Je ne sais pas comment elle fait pour se concentrer ici. La rivière charrie des flots énormes, c’est assourdissant. Elle mousse sur toute sa largeur, peut-être cent mètres, frappant les îlots rocheux et soufflant des volutes d’écume qui flottent dans l’air comme des fantômes. Ce n’est pas vraiment une cascade parce que la rivière ne tombe pas de haut mais dévale une série de marches, de longues dalles de granit. Théoriquement, on appellerait plutôt ça une cataracte.
Depuis un certain temps, ma femme s’est spécialisée dans les peintures de cascades. Elle suit des cours et a montré récemment plusieurs tableaux dans une foire d’art et d’artisanat, à Burgdorf. Notre intérieur en est rempli : des cascades au salon, dans le couloir, dans le bureau. Dans la chambre un grand panorama des chutes du Rhin trône au-dessus du lit, et à côté de la fenêtre j’ai réussi à caser mon préféré, un petit portrait de la cascade du Staubbach, mince filet blanc dans l’ombre de la falaise. Certains ne sont pas franchement des chefs-d’œuvre. Le sujet n’est pas facile. Il demande des partis-pris. Au début, Ilse passait trop de temps à essayer de capter le mouvement de l’eau, alors elle bâclait le décor. Les arbres étaient tout plats, les pierres avaient l’air d’être en pâte à modeler. Maintenant elle a trouvé un truc pour les volutes et les gerbes, un geste acquis avec un type de pinceau particulier, qui lui permet d’obtenir très vite l’effet-cascade. Du coup le reste du tableau reçoit l’attention qu’il mérite, et depuis, il faut dire que c’est nettement mieux.
Au début, je la suivais un peu à reculons. Chaque dimanche elle me disait : « Allez, on part en pique-nique! » Une fois sur place, elle se mettait à peindre avant d’avoir fini son sandwich. Je râlais parce que ça prenait un temps fou, deux heures de route pour rester plantés là, et je finissais toujours par aller me promener tout seul. Maintenant, on peut dire que je me suis pris au jeu. Au point d’aller jusqu’en Amérique pour une cascade! Ilse rêvait de peindre les Lower Falls de la Yellowstone, comme Thomas Moran, le Michel-Ange du genre. Alors pour ses cinquante ans j’ai planifié ce voyage : un circuit de dix jours en voiture de location, dans et autour du parc national. Sur un atlas, en suivant du doigt toutes les lignes bleues à la recherche des mentions Quelque chose Falls, j’ai fait un premier repérage. Ensuite, j’ai tapé tous ces noms sur Internet pour voir lesquelles valaient vraiment le coup. Les fameuses Lower Falls, Tower Falls, Upper Falls, mais aussi des trouvailles plus spécifiques comme Palisade Falls (magnifiques) ou celles-ci, d’un genre nouveau, jamais représenté. Tant mieux pour Ilse. Même de dos, je devine qu’elle prend du plaisir. Campée sur une jambe et l’autre repliée vers l’extérieur, elle est à l’aise. Son nouveau chapeau de cow-boy lui donne un air très typique. À côté d’elle, un petit pin s’agrippe au bord du gouffre. Un bout de la corniche a dû s’effondrer et l’a laissé en sursis. Pour lui, cet endroit est vraiment le bout du monde. Sa façon de se tenir droit comme si de rien n’était, c’est inexplicable.
J’hésite à m’ouvrir une deuxième bière. Je pèse le pour et le contre en agitant le fond de la première. Et puis je suis distrait par trois hommes que je n’ai pas vu arriver. Depuis le parking le sentier se ramifie à droite à gauche, ils ont donc pu surgir de n’importe où. Je les vois plaisanter et s’approcher du bord du rocher. Le plus jeune fait semblant de prendre de l’élan pour sauter, ce qui déclenche une grande rigolade. Les deux autres sont beaucoup plus âgés, probablement des retraités en virée avec un fils. Ils s’assoient ensemble sur un bloc de pierre de la taille d’un banc et contemplent le spectacle. Assez vite, l’homme remarque Ilse et la désigne du doigt aux deux vieux. Comme il se lève pour aller lui parler, je me décide à marcher vers eux pour l’intercepter. Il y a toujours un promeneur pour venir bavarder en plein milieu d’une séance, les gens ne se gênent pas pour commenter la peinture en cours. Ilse discute volontiers et ne se vexe pas facilement, mais je préfère lui éviter ce genre d’interruptions. J’aimerais que ce tableau soit peint dans les meilleures conditions, parce que c’est notre dernière cascade. Alors sans être tout à fait assez proche je crie : « BONJOUR ÇA VA?
– Hé bonjour, je ne vous ai pas entendu arriver avec tout ce boucan.
– Oui, c’est assez impressionnant.
– Vous êtes avec l’artiste?
– C’est ma femme. Elle est fan de cascades.
– Ah ben là elle est servie c’est sûr! Et encore, ce n’est pas la crue de l’an passé.
– Vous êtes du coin?
– Pas tout à fait mais pas loin, de Missoula.
– Ah oui oui Missoula, on y a dormi cette nuit.
– En voyage c’est ça? Vous venez d’où?
– De Suisse.
– La Suisse! Wow! Victorinox!
– Tout juste.
– Couteaux de l’armée suisse depuis 1891.
– Quel connaisseur!
– Je travaille à la coutellerie chez Sportsman. Le spécialiste des haches pour tout le Montana.
– Les haches?
– Absolument : haches à fendre, haches de coupe, haches de plein air, haches de chasse. Hachettes, merlins, toutes les haches.
– Je ne savais pas qu’il y avait plusieurs sortes de haches.
– Mais si. Dites, vous pouvez nous prendre en photo?
– Oui bien sûr.
– Il leur faut des souvenirs à ces deux-là, ça oublie tout à cet âge. Ici sur le gros caillou, c’est notre tribune officielle. On vient chaque année en pèlerinage. Au fait : je m’appelle Nick.
– Tobias.
– Enchanté. Lui c’est mon père, et l’autre c’est mon oncle. PAPA! J’ai trouvé un Suisse pour nous prendre en photo! »
Pendant qu’ils prennent la pose, je vois Ilse qui m’adresse un sourire et lève son pinceau pour me dire merci. Le père s’installe à droite en regardant bien où il s’assied, plus très sûr de ses jambes. Au centre l’oncle accepte de servir de dossier au grand fils, qui singe une pin-up alanguie. Leur silhouette se détache sur l’écume des chutes. Au-dessus d’eux, je vois un oiseau traverser la vallée à grands coups d’ailes.
Quand il revient vers moi pour récupérer son appareil photo, Nick lâche un soupir de soulagement et proclame : « Pas la première, pas la dernière!
– Vous venez souvent?
– Comme je vous l’ai dit, une fois par année : le pèlerinage des rescapés.
– Ah bon.
– Mon père et son frère, ce sont des enfants volés.
– …
– Des Doukhobors. Volés à leurs parents par le gouvernement canadien.
– Comment ça?
– Les Doukhobors? Vous ne connaissez pas les Doukhobors? C’était une communauté d’exilés russes, des évangélistes. Les Fils de la Liberté. Des nudistes. Opposés au matérialisme et à l’éducation nationale, anarchistes. Vivent tous mélangés. Détestent tout ce qui est en métal. Le gouvernement a essayé de les recadrer plusieurs fois mais ils refusaient de s’intégrer. Pour protester, ils paradaient nus dans les rues des villes. Beaucoup s’étaient installés au bord de la Kootenai, juste de l’autre côté de la frontière, à Castelgar. Des fermes communautaires et des grandes fabriques de confitures. Mon père et mon oncle sont nés là-bas. Il ne reste plus rien maintenant. Ces fanatiques ont tout brûlé : purification par le feu.
– C’est fou.
– Oh ils aimaient bien les incendies, les Doukhobors. Ils mettaient le feu aux écoles publiques, aux entrepôts du chemin de fer, ils faisaient sauter les ponts. C’était leur façon de répondre aux arrestations ou à la conscription, pendant la guerre. Après, les autorités sont passées à la manière forte. Saisies de terres, assimilation forcée. Des rafles, en plein jour, dans les champs. Les enfants étaient pris et internés dans des institutions. C’est ce qui est arrivé à ces deux-là. Camps d’éducation, ça s’appelait. Mon père ne se souvient de rien, mais mon oncle oui. Un jour, sept et cinq ans, ils se sont échappés. Ils ont passé la frontière en camion, cachés dans une cargaison de bois, et se sont retrouvés ici au Montana. Orphelinat d’État à Butte et puis adoption. Maintenant il paraît qu’il y a un musée des Doukhobors à Castelgar, un genre de mémorial. Ça fait dix ans, qu’est-ce que je dis, quinze ans au moins, qu’on essaie d’y aller! La première fois on s’est arrêtés ici pour voir les chutes comme vous, en passant. Mais au moment de repartir les gars ont décrété qu’ils étaient fatigués, qu’on ferait mieux de rentrer. Je n’ai jamais réussi à les pousser plus loin. À chaque coup ils renoncent. Ces deux-là sont incapables d’aller ne serait-ce que jusqu’à la frontière. Ça fait déjà plusieurs fois que je ne leur propose même plus de continuer. Enfin bref, c’est leur histoire. Allez je vous laisse, bon voyage alors! Faites un saut au magasin si vous repassez par Missoula, c’est dans le West Side, à côté du Home Depot. Je vous montrerai mes haches. Aucune obligation d’achat! »
Après ça, je retourne m’asseoir. Je m’installe un peu plus loin, tout au bord du rocher, les jambes pendantes au-dessus du chaos des remous. Je reste là un long moment.
Maintenant les nuages ont pris le dessus. Le soleil apparaît encore de temps en temps, chaque éclaircie ravive les couleurs éteintes et fait briller le blanc des chutes. J’espère que ces épisodes lumineux suffiront à Ilse pour terminer son tableau. Ça doit être très énervant de peindre dans ces conditions, comme si quelqu’un jouait à ouvrir et fermer les rideaux.
Lorsque je me décide à bouger, j’ai des fourmis dans les jambes, si fort que je suis incapable de me relever et que je dois remonter mes mollets à la main, comme des bûches. Je peux gémir autant que je veux, le bruit de la cataracte couvre ça facilement. Quand la sensation revient je remarque Nick en contrebas, occupé à touiller un tas de bois flotté piégé dans une crique. Le courant a jeté là plein de troncs dénudés, de branches hachées et de souches polies. Armé d’un long bâton, il remue cette soupe de bois. Je ne sais pas s’il s’amuse ou s’il essaie de dégager quelque chose. En relevant la tête, je prends le panorama de plein fouet. La rivière se précipite dans un tumulte si formidable que je lâche un sanglot. Je pleure peu, juste de quoi me libérer d’une boule dans la gorge. Bientôt nous allons retourner à la voiture et demain, nous reprendrons l’avion. Chez nous, il y aura un tableau de ces chutes.
Ilse a terminé. Elle est plutôt contente et je trouve le résultat très réussi. Je lui dis : « Bravo ». Elle a inclus le ciel nuageux de l’arrière-plan, ce qui est une nouveauté. D’habitude la cascade et son décor occupent tout le fond. On emballe nos affaires et, après un salut de la main aux trois hommes qui discutent encore, assis en rang sur le haut de la dalle, nous reprenons le chemin de la voiture. Un sifflement nous fait nous retourner : Nick nous pointe quelque chose en agitant son doigt tendu. Je pense d’abord que nous avons oublié un truc, mais comme il ne reste rien à notre place je regarde mieux et comprends qu’il désigne une flaque, formée par le débordement de la rivière. Elle est alimentée par un petit filet d’eau tombant d’une corniche, comme un modèle réduit de cascade. Je photographie la scène en cadrant tout près, de façon à faire croire que c’est une grande. À l’écran, le trucage est assez réaliste. Je fais le signe du pouce levé en direction des trois hommes, qui me sourient en retour.
Published May 27, 2017
© “Viceversa Littérature”, Service de Presse Suisse
Wenn ich mich draußen in der Natur auf die Erde setze, bin ich immer erstaunt, wie genau ich unter meinem Hintern jedes Detail des Bodens spüre. Ich habe einen ziemlich breiten Hintern, und ich trage Jeans, trotzdem könnte ich problemlos auflisten, was sich unter mir befindet: Kiefernnadeln, Flechten, Rindenstückchen. Das alles bringe ich jetzt durcheinander, als ich mich etwas bewege, um an den kleinen Beutel heranzukommen, den ich um den Bauch trage. Es ist eine Minikühltasche, die ich an unserem ersten Tag in Bozeman gefunden habe. Zwei Bier passen da rein. Hier in der Gegend haben sie richtig gute Brauereien. Das wusste ich schon, ich habe mich vor der Abreise informiert. Ilse (meine Frau) hat ihre Staffelei auf einem steil abfallenden Felsen hoch über der Strömung aufgebaut. Ich finde, sie geht ein ganz schönes Risiko ein, aber es bringt nichts, ihr das zu sagen. Vorgestern in Yellowstone hat sie sich glatt an den Rand des Canyons gestellt. 300 Meter Abgrund! Zum Glück ist ihre Staffelei für den Einsatz im Freien gemacht, mit Gummistopfen unten an den Beinen und einem kleinen Klappbrett, damit man die Tuben und Pinsel in Reichweite hat. Ilse hat ein Bild angefangen, das die Fälle von vorne zeigt, mit dem großen V des Tals als Hintergrund.
Ich weiß nicht, wie sie es fertigbringt, sich hier zu konzentrieren. Der Fluss führt ungeheure Wassermengen mit sich, es ist ohrenbetäubend. Er schäumt über seine ganze Breite, um die hundert Meter, schlägt gegen die felsigen Inselchen und stößt Gischtwirbel aus, die in der Luft schweben wie Phantome. Es ist nicht wirklich ein Wasserfall, denn der Fluss fällt nicht von oben herab, sondern stürzt sich über mehrere aufeinanderfolgende Stufen aus länglichen Granitplatten. Theoretisch müsste man wohl eher von einem Katarakt sprechen.
Seit einiger Zeit hat sich meine Frau auf Wasserfallbilder spezialisiert. Sie nimmt Kurse und hat neulich auf einer Kunsthandwerkermesse in Burgdorf ein paar Gemälde ausgestellt. Unser Zuhause ist voll damit: Wasserfälle im Wohnzimmer, im Flur, im Büro. Im Schlafzimmer thront über dem Bett ein großes Panorama des Rheinfalls, und neben dem Fenster habe ich ein Plätzchen für mein Lieblingsbild gefunden, ein kleines Gemälde des Staubbachfalls, ein dünner, weißer Strahl im Schatten des Felsens. Manche der Bilder sind nicht gerade Meisterwerke. Das Motiv ist nicht einfach. Man muss vorab Entscheidungen treffen. Am Anfang hat Ilse zu viel Zeit damit verbracht, die Bewegung des Wassers einfangen zu wollen, und dann beim Hintergrund geschlampt. Die Bäume waren ganz flach, und die Steine wirkten wie aus Knete. Bei der aufspritzenden, hochwirbelnden Gischt hat sie den Dreh inzwischen raus, eine Handbewegung mit einer speziellen Pinselart, sodass sie den Wasserfalleffekt jetzt ganz flink hinbekommt. Dadurch erhält der Rest des Gemäldes die Aufmerksamkeit, die er verdient, und seither sieht es zugegebenermaßen wirklich besser aus.
Am Anfang bin ich eher widerwillig mitgekommen. Jeden Sonntag sagte sie zu mir: »Los komm, wir fahren raus picknicken!« Aber kaum angekommen, fing sie auch schon mit dem Malen an, noch bevor sie ihr Sandwich aufgegessen hatte. Ich nörgelte, weil es eine Ewigkeit dauerte, zwei Stunden Fahrt, und dann saßen wir bloß herum, und ich ging zu guter Letzt immer allein spazieren. Inzwischen habe ich tatsächlich Gefallen an der Sache gefunden. Und zwar so sehr, dass ich für einen Wasserfall bis nach Amerika fahre! Ilse träumte davon, die Lower Falls in Yellowstone zu malen, wie Thomas Moran, der Michelangelo des Genres. Also habe ich für ihren 50. Geburtstag diese Reise geplant: zehn Tage im Mietwagen durch den Nationalpark und seine Umgebung. Im Atlas habe ich mir einen ersten Überblick verschafft und bin mit dem Finger alle blauen Linien nachgefahren auf meiner Suche nach sämtlichen Dingsda-Falls. Die Namen habe ich alle ins Internet eingetippt, um nachzuschauen, welche sich wirklich lohnen. Die berühmten Lower Falls, die Tower Falls und die Upper Falls, aber auch speziellere Glücksfunde wie die Palisade Falls (grandios) oder diese hier, eine neue Art, die noch nie dargestellt wurde. Umso besser für Ilse. Schon ihr Rücken verrät mir, wie sehr sie das hier genießt. Mit dem Gewicht auf einem Bein und das andere nach außen gedreht, fühlt sie sich pudelwohl. Ihr neuer Cowboyhut verleiht ihr etwas sehr Authentisches. Neben ihr krallt sich eine kleine Kiefer an den Rand des Abgrunds. Ein Stück vom Steilhang muss abgebrochen sein und sie dort auf Bewährung zurückgelassen haben. Für die Kiefer ist hier wirklich das Ende der Welt. Sie hält sich so aufrecht, als wenn nichts wäre, unerklärlich.
Ich bin unschlüssig, ob ich ein zweites Bier aufmachen soll. Ich wäge das Für und Wider ab, indem ich den Bodensatz der ersten Dose schüttle. Da werde ich von drei Männern abgelenkt, die ich nicht habe kommen sehen. Seit dem Parkplatz hat sich der Weg ständig verzweigt, sie können von überall her gekommen sein. Ich sehe, wie sie sich scherzend der Felskante nähern. Der Jüngste tut, als würde er Anlauf zu einem Sprung nehmen, was ein großes Gelächter auslöst. Die beiden anderen sind sehr viel älter, wahrscheinlich Rentner auf Ausflug mit einem Sohn. Sie setzen sich auf einen Steinblock, groß wie eine Bank, und betrachten das Naturschauspiel. Schon bald wird der jüngere Mann auf Ilse aufmerksam und weist die beiden Alten auf sie hin. Als er aufsteht, um mit ihr zu sprechen, beschließe ich, zu ihnen hinüberzugehen und ihn abzufangen. Es gibt immer irgendeinen Spaziergänger, der mitten in einer Sitzung auf einen Schwatz zu ihr geht, die Leute kennen keine Hemmungen, ihre Kommentare über das entstehende Gemälde abzugeben. Ilse diskutiert gerne und wird nicht schnell wütend, aber die Art von Unterbrechung erspare ich ihr doch lieber. Ich möchte, dass dieses Bild unter optimalen Bedingungen gemalt wird, es ist unser letzter Wasserfall. Also schreie ich, obwohl ich nicht nah genug bin: »HALLO, WIE GEHT’S?«
»Hey, hallo, bei dem Spektakel hier habe ich Sie gar nicht kommen hören.«
»Ja, ist echt beeindruckend.«
»Gehören Sie zu der Künstlerin?«
»Das ist meine Frau. Sie ist ein Wasserfall-Fan.«
»Na, da kommt sie hier ja voll auf ihre Kosten! Dabei ist das da noch nicht mal so ein Hochwasser wie im letzten Jahr.«
»Sie kommen hier aus der Gegend?«
»Nicht ganz, ein Stück weiter runter, aus Missoula.«
»Ach ja, ja, Missoula, da haben wir heute Nacht geschlafen.«
»Auf Ferienreise, was? Von wo kommen Sie?«
»Aus der Schweiz.«
»Aus der Schweiz! Wow! Victorinox!«
»Genau.«
»Die Messer der Schweizer Armee seit 1891.«
»Ein echter Kenner!«
»Ich arbeite in der Schneidwarenabteilung bei Sportsman. Der Spezialist für Äxte hier in Montana.«
»Äxte?«
»Ganz genau: Äxte zum Hacken, Äxte zum Schneiden, Äxte für draußen, Äxte für die Jagd. Beile, Spalthämmer, Äxte aller Art.«
»Ich wusste gar nicht, dass es mehrere Arten von Äxten gibt.«
»Aber sicher doch. Sagen Sie, können Sie ein Foto von uns machen?«
»Ja, natürlich.«
»Die beiden da brauchen Souvenirs, in dem Alter vergisst man alles. Hier auf dem großen Stein ist unsere offizielle Tribüne. Wir pilgern jedes Jahr her. Übrigens: Ich heiße Nick.«
»Tobias.«
»Freut mich. Der hier ist mein Vater, der andere mein Onkel. PAPA! Ich habe einen Schweizer gefunden, der ein Foto von uns macht!«
Während sie sich in Pose setzen, sehe ich Ilse, die mir zum Dank ein Lächeln zuwirft und ihren Pinsel hochhebt. Der Vater hockt sich rechts hin, wobei er genau achtgibt, wohin, er ist nicht mehr so ganz sicher auf den Beinen. Der Onkel in der Mitte lässt sich von dem großen Sohn, der ein schmachtendes Pin-up-Girl nachäfft, als Rückenlehne gebrauchen. Ihre Silhouette zeichnet sich vor der Gischt der Fälle ab. Über ihnen sehe ich einen Vogel mit großen Flügelschlägen das Tal durchqueren.
Als Nick wieder zu mir kommt, um seinen Fotoapparat zurückzunehmen, stößt er einen erleichterten Seufzer aus und verkündet: »Das war nicht das erste und nicht das letzte Mal!«
»Kommen Sie oft her?«
»Einmal im Jahr, wie gesagt: die Pilgerreise der Überlebenden.«
»Aha.«
»Mein Vater und sein Bruder sind gestohlene Kinder.«
»…«
»Duchoborzen. Die kanadische Regierung hat sie ihren Eltern gestohlen.«
»Wie das?«
»Die Duchoborzen? Sie kennen die Duchoborzen nicht? Das war eine Gemeinschaft russischer Exilanten, Evangelisten. Die Söhne der Freiheit. Nudisten. Sie waren gegen den Materialismus und die nationale Schulbildung, Anarchisten. Jeder mit jedem. Sie hassten alles, was aus Metall ist. Die Regierung hat mehrmals versucht, sie zur Räson zu bringen, aber sie haben sich absolut nicht integrieren lassen wollen. Aus Protest sind sie in den Städten nackt durch die Straßen marschiert. Viele hatten sich am Ufer des Kootenay niedergelassen, direkt hinter der Grenze in Castlegar. Gemeinschaftsfarmen und große Marmeladenfabriken. Mein Vater und mein Onkel sind dort geboren. Davon ist heute nichts mehr übrig. Diese Fanatiker haben alles abgefackelt: Reinigung durch Feuer.«
»Verrückt.«
»Oh, die Duchoborzen mochten es, wenn es brennt. Sie haben öffentliche Schulen und Bahndepots angesteckt und Brücken in die Luft gejagt. Das war so ihre Antwort auf die Verhaftungen und auf die Einberufung während des Kriegs. Die Behörden haben daraufhin hart durchgegriffen. Ländereien beschlagnahmt, die Assimilierung erzwungen. Verhaftungen, mitten am Tag, auf den Feldern. Die Kinder wurden abgeholt und in Anstalten verbracht. Das ist auch den beiden da passiert. Erziehungslager nannte sich das. Mein Vater erinnert sich an nichts, mein Onkel schon. Eines Tages, mit sieben beziehungsweise fünf, sind sie ausgerissen. Auf einem Lastwagen, in einer Ladung Holz versteckt, sind sie über die Grenze rüber und hier in Montana gelandet. Staatliches Waisenhaus in Butte, dann die Adoption. Scheinbar gibt es jetzt ein Duchoborzen-Museum in Castlegar, eine Art Gedenkstätte. Seit zehn, ach was, seit sicher fünfzehn Jahren versuchen wir hinzufahren! Beim ersten Anlauf haben wir hier gehalten, um uns die Fälle anzuschauen, auf der Durchreise, so wie Sie. Aber als wir wieder los wollten, haben die Jungs steif und fest behauptet, sie wären müde und wir sollten besser wieder heimfahren. Ich habe die zwei nie auch nur ein Stück weiter Richtung Norden bekommen. Sie weigern sich jedes Mal. Nicht einmal bis zur Grenze schaffen es die beiden. Die letzten Male habe ich ihnen nicht mal mehr vorgeschlagen weiterzufahren. Na ja, das ist ihre Sache. Okay, ich geh dann mal, eine schöne Reise noch! Und wenn Sie wieder in Missoula sind, kommen Sie auf einen Sprung im Geschäft vorbei, es liegt in der West Side, neben dem Home Depot. Ich zeige Ihnen dann meine Äxte. Schauen kostet nichts!«
Ich gehe zurück und setze mich ein Stück weiter weg, direkt an die Felskante, sodass meine Beine über dem strudelnden Chaos hängen. Dort bleibe ich eine ganze Weile.
Die Wolken haben jetzt die Oberhand gewonnen. Die Sonne dringt hin und wieder noch durch, jede Aufhellung entfacht die erloschenen Farben aufs Neue und bringt das Weiß der Fälle zum Leuchten. Ich hoffe, diese flüchtigen Momente des Lichts reichen, damit Ilse ihr Gemälde zu Ende bringen kann. Es muss zermürbend sein, unter diesen Bedingungen zu malen, so als würde ständig jemand zum Spaß die Vorhänge auf- und zuziehen. Als ich beschließe aufzustehen, sind meine Beine so eingeschlafen, dass ich nicht in der Lage bin, mich aufzurappeln, und ich muss meine Waden mit der Hand hochziehen wie Holzscheite. Ich kann ächzen, wie ich will, das Tosen des Katarakts übertönt mich mit Leichtigkeit. Als das Gefühl zurückkommt, bemerke ich Nick, der weiter stromabwärts in einem Haufen Holz herumrührt, das in einer kleinen Bucht angespült wurde und sich darin verfangen hat. Die Strömung hat dort jede Menge abgeschälter Stämme, zerstückelter Äste und blank geriebener Baumstümpfe hingeworfen. Mit einem langen Stock bewaffnet, rührt Nick in dieser Holzsuppe. Ich weiß nicht, ob nur zum Spaß oder ob er versucht, dort etwas herauszuholen. Als ich den Kopf hebe, trifft das Panorama mich mit voller Wucht. Der Fluss stürzt sich mit einem so gewaltigen Getöse herab, dass ich aufschluchze. Ich weine ein bisschen, gerade so viel, dass ich den Kloß in meinem Hals loswerde. Bald werden wir zum Auto zurückgehen und morgen wieder ins Flugzeug steigen. Und daheim wird es dann ein Gemälde von diesen Fällen geben.
Ilse ist fertig. Sie ist ziemlich zufrieden, und ich finde das Resultat auch sehr gelungen. Ich sage Bravo zu ihr. Sie hat den bewölkten Himmel in den Hintergrund mit einbezogen, das ist neu. Normalerweise nehmen der Wasserfall und seine Umgebung die ganze rückwärtige Fläche ein. Wir packen zusammen, und nachdem wir zu den drei Männern hinübergewunken haben, die noch immer nebeneinander oben auf der Steinplatte hocken und diskutieren, gehen wir den Weg zum Auto zurück. Ein Pfiff ertönt, und wir drehen uns um: Nick fuchtelt mit dem ausgestreckten Finger zu etwas hinüber, das er uns zeigen will. Erst denke ich, wir haben etwas vergessen, aber da an unserem Platz nichts mehr liegt, sehe ich genauer hin und begreife, dass er eine Pfütze meint, die sich durch ein Übertreten des Flusses gebildet hat. Gespeist wird sie von einem Rinnsal, das aus einem Felsvorsprung herabfällt wie das Miniaturmodell eines Wasserfalls. Ich fotografiere die Szene, hole sie ganz nah heran, sodass es aussieht, als wäre es ein großer. Auf dem Screen wirkt der Effekt ziemlich realistisch. Ich strecke den Daumen in Richtung der drei Männer hoch, die zu mir zurücklächeln.
Published May 27, 2017
© “Viceversa Literatur”, Service de Presse Suisse
Quando mi siedo per terra nella natura, mi stupisco sempre di sentire con tanta precisione i dettagli del suolo sotto il mio sedere. Ho un sedere piuttosto voluminoso, e indosso dei jeans, eppure potrei fare facilmente l’inventario di quello che c’è sotto: aghi di pino, licheni, piccole schegge di corteccia. Disturbo tutto questo muovendomi per raggiungere il borsello che porto legato in vita. È una mini borsa frigo che ho trovato il primo giorno, al mio arrivo a Bozeman. Ha una capacità pari a due birre. Nella regione ci sono ottimi birrifici. Lo sapevo, mi ero informato prima di partire.
Ilse (mia moglie) ha sistemato il suo cavalletto su una roccia a strapiombo sopra il corso d’acqua. Io qui lo trovo rischioso, ma dirglielo non servirebbe a niente. L’altro ieri a Yellowstone si è piazzata addirittura sul ciglio del canyon. Un precipizio di trecento metri! Per fortuna quel cavalletto è pensato per l’esterno, con dei tondini di caucciù fissati alle estremità delle gambe e un piccolo piano ribaltabile, che consente di avere i tubetti e i pennelli a portata di mano. Ilse ha cominciato un quadro che ritrae le cascate di prospetto, con la V della vallata sullo sfondo.
Non so come faccia a concentrarsi, qui. Il fiume ha una portata impetuosa, è assordante. Spumeggia sull’intera larghezza, forse cento metri, battendo sugli isolotti rocciosi e soffiando volute di schiuma che fluttuano nell’aria come fantasmi. Non è proprio una cascata, perché il fiume non si getta dall’alto ma corre lungo una serie di gradini, lunghe lastre di granito. In teoria sarebbe più esatto chiamarlo cateratta.
Da un po’ di tempo a questa parte, mia moglie si è specializzata nella riproduzione di cascate. Segue un corso e recentemente ha esposto diversi quadri in una fiera d’arte e artigianato, a Burgdorf. Ne abbiamo la casa piena: cascate in salotto, in corridoio, nello studio. In camera un vasto panorama delle cascate del Reno campeggia sopra il letto, e sono riuscito ad appendere il mio preferito accanto alla finestra, un piccolo ritratto della cascata di Staubbach, esile filo bianco nell’ombra della scogliera. Alcuni sono tutt’altro che capolavori. Non è un soggetto facile. Impone delle scelte radicali. All’inizio, Ilse passava troppo tempo a cercare di catturare il movimento dell’acqua, e quindi abborracciava il paesaggio. Gli alberi erano completamente piatti, le pietre sembravano fatte di plastilina. Poi ha escogitato un trucco per le volute e gli schizzi, un gesto messo a punto con un tipo di pennello particolare, che le permette di ottenere molto in fretta l’effetto-cascata. Di conseguenza il resto del quadro riceve l’attenzione che merita, e da allora bisogna dire che c’è stato un netto miglioramento.
All’inizio la seguivo un po’ controvoglia. Ogni domenica mi diceva: «Dài, andiamo a fare un picnic!». Una volta sul posto, si metteva a dipingere prima ancora di avere finito il panino. Io protestavo perché ci voleva un sacco di tempo, due ore di strada per restare inchiodati lì, e alla fine me ne andavo sempre a fare un giro da solo. Adesso diciamo che ci ho preso gusto. Al punto di andare fino in America per una cascata! Ilse sognava di dipingere le Lower Falls dello Yellowstone, come Thomas Moran, il Michelangelo del genere. Allora per i suoi cinquant’anni ho pianificato questo viaggio: un circuito di sei giorni con un’auto noleggiata, dentro e intorno al parco nazionale. Ho fatto un primo sopralluogo su un atlante, seguendo con il dito tutte le linee blu in cerca delle diciture Qualcosa Falls. Dopodiché ho digitato tutti quei nomi su internet per vedere quali valessero davvero la pena. Le famose Lower Falls, Tower Falls, Upper Falls, ma anche qualche chicca più specifica tipo Palisade Falls (magnifiche) o queste qui, di un genere nuovo, mai rappresentato. Tanto meglio per Ilse. Anche di spalle intuisco che se la gode. Piantata su una gamba e con l’altra piegata verso l’esterno, è perfettamente a suo agio. Il suo nuovo cappello da cow-boy le conferisce un’aria molto pittoresca. Accanto a lei, un piccolo pino si aggrappa all’orlo del precipizio. Un pezzo della cornice dev’essere franato lasciandolo sospeso. Per lui, questo luogo è davvero la fine del mondo. Quel suo modo di starsene lì dritto come se niente fosse è inspiegabile.
Esito ad aprirmi una seconda birra. Valuto i pro e i contro agitando il fondo della prima. E poi vengo distratto da tre uomini che non avevo visto arrivare. Dal parcheggio il sentiero si dirama a destra e a sinistra, per cui possono essere spuntati da qualsiasi parte. Li vedo scherzare e avvicinarsi al bordo della roccia. Il più giovane fa finta di prendere la rincorsa per saltare, cosa che scatena l’ilarità generale. Gli altri due sono molto più anziani, probabilmente dei pensionati in gita con un figlio. Si siedono insieme su un blocco di pietra delle dimensioni di una panchina e contemplano lo spettacolo. Abbastanza in fretta l’uomo scorge Ilse e la indica ai due vecchi col dito. Non appena si alza per andare a parlarle, mi decido a dirigermi verso di loro per fermarlo. C’è sempre qualche passeggiatore che viene ad attaccare bottone in piena seduta, la gente non si fa problemi a commentare la pittura in corso. Ilse chiacchiera volentieri e non si offende facilmente, ma preferisco evitarle questo genere d’interruzioni. Mi piacerebbe che questo quadro fosse realizzato nelle migliori condizioni, perché è la nostra ultima cascata. Così, un po’ troppo da lontano, grido: – BUONGIORNO TUTTO BENE?
– Salve, con tutto questo baccano non l’ho neanche sentita arrivare.
– Sì, è abbastanza impressionante.
– È qui con l’artista?
– È mia moglie. È appassionata di cascate.
– Ah beh, qui non si può certo lamentare! Anche se niente a che vedere con la piena dell’anno scorso.
– Siete della zona?
– Non proprio ma quasi, di Missoula.
– Ah sì sì Missoula, ci abbiamo dormito stanotte.
– Siete in viaggio dico bene? Da dove venite?
– Dalla Svizzera.
– La Svizzera! Wow! Victorinox!
– Esattamente.
– Coltelli dell’esercito svizzero dal 1891.
– Che intenditore!
– Lavoro al reparto coltelleria di Sportsman. Lo specialista di scuri di tutto il Montana.
– Scuri?
– Assolutamente: scuri spaccalegna, scuri da combattimento, scuri da trekking, scuri da caccia. Accette, asce, scuri di ogni genere.
– Non sapevo che ci fossero diversi tipi di scure.
– Altroché. Senta, potrebbe farci una foto?
– Sì, certo.
– Quei due hanno bisogno di ricordi, alla loro età si dimentica tutto. Qui sul grosso masso, è la nostra tribuna ufficiale. Ci veniamo in pellegrinaggio ogni anno. A proposito: io sono Nick.
– Tobias.
– Piacere. Lui è mio padre, e l’altro è mio zio. PAPÀ! Ho trovato uno svizzero che ci fa una foto!
Mentre si mettono in posa, vedo Ilse rivolgermi un sorriso e alzare il pennello per dirmi grazie. Il padre si piazza sulla destra guardando bene dove si siede, non più molto sicuro delle proprie gambe. Al centro lo zio accetta di fare da schienale al figlio grande, che scimmiotta una languida pin-up. I loro contorni si stagliano sulla schiuma delle cascate. Sopra di loro, vedo un uccello attraversare la valle a gran colpi d’ala.
Quando torna verso di me per riprendersi la macchina fotografica, Nick caccia un sospiro di sollievo e dichiara: – Né la prima, né l’ultima!
– Ci venite spesso?
– Come le ho detto, una volta all’anno: il pellegrinaggio degli scampati.
– Ah ecco.
– Mio padre e suo fratello sono due bambini rubati.
– …
– Dei duchobory. Rubati ai loro genitori dal governo canadese.
– Sarebbe a dire?
– I duchobory? Non conosce i duchobory? Era una comunità di esuli russi, degli evangelisti. I figli della libertà. Dei nudisti. Oppositori del materialismo e dell’educazione nazionale, anarchici. Vivono tutti mescolati. Detestano tutto ciò che è di metallo. Il governo ha tentato più volte di imbrigliarli ma loro rifiutavano d’integrarsi. Per protestare, sfilavano nudi nelle strade delle città. Molti di loro si erano insediati sulle sponde del Kootenay, subito oltre il confine, a Castlegar. Fattorie comunitarie e grandi fabbriche di marmellate. Mio padre e mio zio sono nati lì. Adesso non rimane più niente. Quei fanatici hanno bruciato tutto: purificazione per mezzo del fuoco.
– Pazzesco.
– Oh, avevano una passione per gli incendi, i duchobory. Appiccavano il fuoco alle scuole pubbliche, ai magazzini delle ferrovie, facevano saltare i ponti. Era il loro modo di rispondere agli arresti o alla coscrizione, durante la guerra. In seguito le autorità sono passate alle maniere forti. Confisca delle terre, assimilazione forzata. Retate in pieno giorno, nei campi. I bambini venivano presi e internati negli istituti. È quanto è successo a quei due. Campo di educazione, si chiamava. Mio padre non ricorda niente, ma mio zio sì. Un giorno, a sette e cinque anni, si sono dati alla fuga. Hanno attraversato il confine in camion, nascosti in un carico di legna, e si sono ritrovati qui nel Montana. Orfanotrofio statale a Butte e poi adozione. Adesso pare che a Castlegar ci sia un museo dei duchobory, una specie di memoriale. Sono dieci, che dico, almeno quindici anni che cerchiamo di andarci! La prima volta ci siamo fermati qui per vedere le cascate come voi, di passaggio. Ma al momento di ripartire i ragazzi hanno decretato che erano stanchi, che avremmo fatto meglio a rientrare. Non sono mai riuscito a spingerli più lontano. Ogni volta rinunciano. Quei due sono incapaci di andare anche solo fino al confine. Sono già parecchie volte che manco gli propongo più di continuare. Insomma, è la loro storia. Bene, la saluto, buon viaggio allora! Fate un salto al negozio se ripassate da Missoula, è nel West Side, di fianco all’Home Depot. Le farò vedere le mie scuri. Senza impegno d’acquisto!
Dopodiché torno a sedermi. Mi metto un po’ più in là, proprio sul bordo della roccia, con le gambe penzoloni sul tumulto dei mulinelli. Resto lì per un bel po’.
Adesso le nuvole hanno avuto la meglio. Il sole ogni tanto compare ancora, e ogni schiarita ravviva i colori spenti e fa scintillare il bianco delle cascate. Spero che a Ilse questi episodi luminosi basteranno per portare a termine il quadro. Dev’essere parecchio snervante dipingere in queste condizioni, come se qualcuno si divertisse ad aprire e chiudere le tende.
Quando mi decido a muovermi ho le formiche alle gambe, così forti che non riesco ad alzarmi e devo sollevare i polpacci con le mani, come fossero tronchi. Posso lamentarmi fin che voglio, il rumore della cateratta copre facilmente i miei gemiti. Quando recupero la sensibilità noto Nick là sotto, intento a rimestare della legna di buzza bloccata in un’insenatura. La corrente ha buttato lì un sacco di tronchi nudi, di rami spezzati e ceppi levigati. Armato di un lungo bastone, l’uomo rimesta questa zuppa di legna. Non capisco se si annoi o se cerchi di liberare qualcosa. Alzo la testa e il panorama m’investe in piena faccia. Il fiume si precipita in un tumulto talmente incredibile che mi sfugge un singhiozzo. Piango un po’, giusto di che sbarazzarmi del nodo che mi stringe la gola. Tra poco torneremo alla macchina e domani riprenderemo l’aereo. A casa, avremo un quadro di queste cascate.
Ilse ha finito. È piuttosto contenta e io trovo il risultato molto riuscito. Le dico: «Complimenti». Ha incluso il cielo nuvoloso in secondo piano, il che è una novità. Di solito la cascata e il suo scenario occupano tutto lo sfondo. Raccogliamo le nostre cose e, dopo aver salutato con un cenno della mano i tre uomini ancora lì che chiacchierano, seduti in fila in cima alla lastra, riprendiamo il sentiero verso la macchina. Un fischio ci fa girare: Nick ci indica un punto agitando il dito teso. Sulle prime penso che abbiamo dimenticato qualcosa, ma siccome sul posto non resta niente guardo meglio e capisco che indica una pozza, formata dallo straripamento del fiume. È alimentata da un rivolo che si getta da una balza, come fosse un modellino di cascata. Fotografo la scena inquadrando tutto da vicino, in modo da far credere che sia una cascata di grandi dimensioni. Sul monitor, l’illusione risulta abbastanza realistica. Alzo il pollice in direzione dei tre uomini, che mi rispondono con un sorriso.
Published May 27, 2017
© “Viceversa Letteratura”, Service de Presse Suisse
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Le nouveau numéro de “Viceversa Littérature” vient de paraître, avec, entre autres, des inédits de Yari Bernasconi, Irena Brežná, Odile Cornuz, Jérémie Gindre, Dana Grigorcea, Thilo Krause, Silvia Härri, Rolf Hermann, Stefano Marelli, Philippe Rahmy, Tresa Rüthers-Seeli, Matteo Terzaghi et Dieter Zwicky.
Avec l’aimable autorisation de la rédaction de la revue et de l’auteur, nous proposons ici le récit de Jérémie Gindre.
Soeben ist die neue Ausgabe von “Viceversa Literatur” erschienen, die Nummer 11. Darin finden sich u.a. unveröffentlichte Texte von Yari Bernasconi, Irena Brežná, Odile Cornuz, Jérémie Gindre, Dana Grigorcea, Thilo Krause, Silvia Härri, Rolf Hermann, Stefano Marelli, Philippe Rahmy, Tresa Rüthers-Seeli, Matteo Terzaghi und Dieter Zwicky.
Mit freundlicher Genehmigung des Jahrbuchs und des Autors veröffentlichen wir hier die Erzählung von Jérémie Gindre.
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È appena uscito il nuovo numero, l’undicesimo, di “Viceversa Letteratura”, con inediti, tra gli altri, di Yari Bernasconi, Irena Brežná, Odile Cornuz, Jérémie Gindre, Dana Grigorcea, Thilo Krause, Silvia Härri, Rolf Hermann, Stefano Marelli, Philippe Rahmy, Tresa Rüthers-Seeli, Matteo Terzaghi e Dieter Zwicky.
Per gentile concessione della rivista e dell’autore, proponiamo qui il racconto di Jérémie Gindre.
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