From Beyrouth 2020 : Journal d’un effondrement

Written in French by Charif Majdalani

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Mardi 4 août, 18 h 07. Je travaille sur la terrasse où j’ai achevé le chapitre sur les préparatifs de départ de Sabine. Avant de poursuivre le suivant dont j’ai écrit les premiers mots, je me lève et m’apprête à rapporter à la cuisine une assiette de fruits que je viens de finir lorsque je reçois un message vocal. Je pose l’assiette sur une petite table et lance le message que je commence à écouter, debout. Soudain le sol se met à bouger avec une violence incroyable, accompagnée d’une sorte d’affreux rugissement. Épouvanté, je sens la terrasse aller et venir comme une pauvre balançoire et je pense évidemment qu’il s’agit d’un tremblement de terre. L’esprit tétanisé, immobile au milieu du séisme comme si le moindre mouvement pouvait accroître l’impression de perte générale de contrôle des choses, je ne fais rien d’autre que me dire : “ça va finir ça va finir ça va finir”, et je pense aussi : “les enfants les enfants”, ou encore : “le béton est solide ça va tenir le béton est solide ça va tenir”, tandis que mon oeil capte sans les gérer les informations sur les objets qui tombent autour de moi et se brisent au sol. Et puis ça s’arrête d’un coup de rugir et de bouger, je vais me précipiter à l’intérieur lorsque je suis à nouveau cloué sur place, submergé par le fracas interminable et monstrueux d’une énorme explosion, et mes yeux cette fois se fixent sur ce paysage familier, les arbres, les immeubles au loin, tout ce que j’ai devant moi en permanence et qui semble à cet instant comme foudroyé par l’affreuse bande-son qui s’est plaquée dessus. Quand cette horreur à son tour est passée, je cours enfin à l’intérieur en me rendant compte que je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé, “tremblement de terre, d’accord, mais pourquoi cette explosion ?”, ou alors : “explosion, d’accord, mais pourquoi un tremblement de terre juste avant ?”. Sauf qu’il y a plus urgent, il y a mes enfants paniqués, Nadim qui a du sang sur les jambes, et ma femme qui les a réunis et qui les enserre de ses bras pour faire rempart à on ne sait quoi. 

C’est au bout d’encore quelques minutes de désarroi, de gesticulations fébriles (afin de trouver de quoi essuyer le sang de la très légère blessure de Nadim, de prendre, en évitant de marcher sur les bris de vitres, de l’argent et nos cartes d’identité dans l’éventualité de devoir sortir pour ne plus revenir en cas de réplique), que les premières informations se mettent à nous parvenir, par message ou par téléphone – parce que les communications n’ont pas été interrompues –, et que l’impensable se fait jour : tous ceux que l’on arrive à appeler, tous ceux qui déjà mettent des posts sur les réseaux sociaux, ou qui lancent des appels au secours, tout le monde d’un bout à l’autre de la ville semble avoir vécu les mêmes longues secondes de cauchemar, et c’est bien cela qui est incompréhensible, parce que chacun pensait que c’était sa maison, son quartier, sa rue qui étaient visés, et on s’aperçoit que nous l’étions tous, en même temps.

 

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Les ravages de l’explosion ont atteint presque toutes les parties de la capitale, à des degrés divers. Mais il est indubitable que les plus touchés sont le versant nord de la colline d’Achrafieh et toute la façade maritime nord de la ville, jusqu’à Ain el-Mreissé en passant par le centre. Et au sein de cet ensemble, les dégâts les plus terribles sont ceux advenus tout le long des quartiers de Gemmayzé, de Mar Mikhaël et de leurs alentours, depuis le port jusqu’aux marches de Bourj Hammoud. En quelques secondes, le souffle détruit des dizaines de milliers d’appartements dans les immeubles et dans les tours hyper modernes qui émaillent ce territoire très découvert, pulvérisant, balançant de tous côtés vitres, fenêtres, portes, mobilier entier et les habitants avec. Mais le béton résiste, la structure des immeubles tient, alors que des centaines de vieilles demeures sont éventrées, et que leurs murs en vieilles pierres de sable s’effondrent sur leurs occupants, tandis qu’instantanément des centaines de cafés, de restaurants, de pubs et de commerces ne sont plus que décombres, que des dizaines de voitures parmi celles qui passaient sur l’avenue qui borde le port sont éjectées, jetées en l’air et retombent comme des jouets, et que des milliers d’autres dans des centaines de rues sont d’un seul coup ensevelies sous les milliers de tonnes de vitres, de tuiles, de pierres qui ont couvert les rues. Durant ces quelques secondes, l’onde de choc balaye la colline d’Achrafieh jusqu’à son sommet, puis les premières rues de son versant sud, ravageant en un clin d’oeil toutes les installations, toutes les chambres et tous les blocs opératoires et toute la population qui se trouvait dans l’hôpital Saint-Georges, dans l’hôpital Geitaoui et dans celui du Rosaire, toutes les salles et toutes les collections du musée Sursock, toutes les boutiques et leurs centaines de badauds et de clients dans le centre commercial de l’ABC, dans tous les supermarchés, dans les magasins, les petits commerces, les échoppes. Et durant ces mêmes quelques secondes, vers Bourj Hammoud et la voie rapide en direction de Dora en passant par le quartier de la Quarantaine et son hôpital à l’est, et à l’ouest vers la colline Ain el-Mreissé, en passant par Khandak el-Ghamik et le centre-ville où la quasi-totalité des magasins en un instant n’existent plus, c’est la même inexplicable et monstrueuse tempête qui souffle tout. Après quoi, pendant les deux ou trois minutes qui suivent, partout, dans les rues brumeuses et blanches à cause de la poussière et des gravats qui fument, les passants hagards et les habitants qui sont parvenus à sortir ne sont plus qu’une effroyable théorie de fantômes ensanglantés, alors que les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui vivaient leur vie dans les maisons, les bureaux et les commerces, sur un territoire qui équivaut à lui seul à une ville entière, sont encore à ce moment prisonniers des gravats, des ruines, du sang, des cris et des appels au secours…

 

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En cinq secondes : deux cents morts, cent cinquante disparus, six mille blessés, neuf mille bâtiments endommagés, deux cent mille habitations détruites ainsi que des centaines de bâtiments patrimoniaux et historiques et quatre hôpitaux, dix mille commerces, ateliers, échoppes, boutiques, restaurants, cafés, pubs réduits en miettes, des dizaines de galeries d’art, d’ateliers de peintres et de sculpteurs, de stylistes, de designers, d’architectes balayés. En cinq secondes. 

En septembre 2013, le MV Rhosus, un cargo battant pavillon moldave en provenance de Batoum et transportant 2750 tonnes de nitrate d’ammonium à destination du Mozambique, fait escale, pour des raisons que nul n’a encore réussi à éclaircir, dans le port de Beyrouth où son état est jugé impropre pour la poursuite du trajet. Le propriétaire, un Russe du nom d’Igor Gretchouchkine, refuse de payer les redevances portuaires, les réparations nécessaires et le salaire de ses marins et abandonne le navire à son sort. Le propriétaire de la cargaison, une compagnie géorgienne du nom de Rustavi Azot, renonce à rentrer en possession de son bien. En mars 2014, cette cargaison est finalement débarquée sur le port et stockée dans le hangar n° 12. Quelques mois plus tard, le cargo coule à quai et la cargaison n’est plus réclamée par personne. Nul ne s’en soucie, ou alors vaguement, et des notes, mais juste des notes, sont envoyées par divers services à leurs ministères de tutelle, sans être jamais relayées. Certaines de ces notes arrivent pourtant au plus haut de la hiérarchie de l’État, qui ne leur accorde aucune attention, et la cargaison cataclysmique continue de dormir ainsi pendant six ans dans la plus parfaite indifférence. Sauf que les experts en industrie chimique estiment peu probable que la quantité déclarée ait réellement explosé. Ils pensent que les dégâts auraient été beaucoup plus considérables qu’ils ne l’ont été. Pourtant, le manifeste enregistré à la capitainerie du port en septembre 2013 évoque bien ce chiffre de 2750 tonnes. Une partie du nitrate d’ammonium aurait donc pu être sortie et utilisée entre-temps, ce qui signifierait que la cargaison n’était pas oubliée, ne dormait pas, et qu’elle était bel et bien utilisée par une partie qui demeure jusque-là mystérieuse, et utilisée grâce à d’innombrables complicités, fruits de corruption, de collusion ou de calculs politiques et stratégiques divers. 

Du coup, bien sûr, toutes les aberrations concernant l’historique de ce stock terrifiant prennent sens. Les mensonges ne semblent plus destinés à couvrir des négligences ou de l’amateurisme, mais à cacher des vérités autrement plus troubles. Un armateur qui abandonne son bateau, ce bateau qui coule dans le port, une société qui ne réclame plus sa cargaison qui vraisemblablement coûte une fortune, un pays de destination qui affirme le plus naturellement du monde avoir fait une nouvelle commande puisque la première ne lui est tout simplement jamais parvenue sans qu’il s’inquiète des raisons : tout confirme qu’il s’agit là d’un mauvais roman et laisse à penser que la destination finale de ces milliers de tonnes était bien le Liban. Et surtout que, très probablement, ce matériau était en voie d’utilisation depuis le premier jour. Le contrôle qu’exerce le Hezbollah sur le port de Beyrouth amène fatalement à considérer que c’est sous son égide que cet usage a été fait, et bien évidemment aussi pour des raisons militaires. Ce qui expliquerait le silence des autorités portuaires, qui auraient fermé les yeux par crainte, collusion ou corruption. 

Quant à savoir ce qui a directement causé le drame, les hypothèses sont nombreuses – accident, attaque, aérienne ou pas, ou sabotage. Le seul élément certain, c’est que, durant les cinquante minutes qui ont précédé la catastrophe, quelque chose brûlait dans un hangar jouxtant celui qui portait le numéro 12. Tout le monde l’a vu, j’ai moi-même suivi la progression du feu avec une relative indifférence, sans savoir ce qu’il réservait, grâce aux images filmées et postées durant une conversation collective sur WhatsApp. Ce qui a provoqué cet incendie reste un mystère, et ce que contenait le hangar voisin de même. Sur les vidéos, on distingue nettement à un moment donné d’étranges zébrures lumineuses et des crépitements, au point que ces images ont poussé certains responsables du port à parler d’un stock de feux d’artifice logé près du nitrate d’ammonium. Ces gesticulations et ces mensonges éhontés n’ont fait qu’accréditer un peu plus les hypothèses avançant que le dépôt voisin incendié contenait en fait des armes ou des munitions, ce qui rendrait absurdement homogène et cohérent le contenu des deux hangars. 

Que cet incendie ait été accidentel ou intentionnel, qu’il y ait eu des armes à proximité ou pas, les distinctions n’importent plus guère. Dans l’un ou l’autre cas ou dans n’importe lequel, ou dans toute autre circonstance ayant abouti à cette situation dans le port de Beyrouth, il ne résulte qu’une seule chose : le 4 août 2020, à 18 h 07, la cargaison, ou ce qui en reste, chauffée par l’incendie, ou emportée par l’explosion d’un dépôt d’armes, ou bombardée, explose. Six années d’opacité et d’irresponsabilité, résultat de trente années de corruption et de mensonges, de politiques mafieuses, de collusions entre les divers services de l’État, les divers ministères, les partis politiques et leur clientèle, de manigances géopolitiques aberrantes et de sinistres logiques guerrières planifiées par des milices criminelles se concentrent, se condensent de manière terrifiante et génèrent les cinq secondes de l’apocalypse. 

Published April 17, 2022
Excerpted from Charif Majdalani, Beyrouth 2020 : Journal d’un effondrement, Actes Sud, Arles 2020
© ACTES SUD, 2020

From Beirut 2020: Diary of the Collapse

Written in French by Charif Majdalani


Translated into English by Ruth Diver

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Tuesday, August 4, 6:07 p.m. I’m working on the terrace where I’ve completed the chapter on Sabine’s preparations for departure. Before going on with the next one, of which I’ve written the first few words, I stand up to take a plate of fruit I’ve just finished back to the kitchen, when I get a voice message. I set the plate down on the little table, open the message, and start listening to it, standing up. Suddenly the floor begins to move with incredible violence, accompanied by a sort of hideous roar. I’m petrified as I feel the terrace come and go beneath me like an old swing, and I think it’s obviously an earthquake. My mind freezes, I’m standing stock still in the midst of the quake as if the least movement might increase my sense of total loss of control over everything, I don’t do anything except repeat to myself: it’ll be over soon, it’ll be over soon, and I also think: the children, the children, or the concrete is solid, it’ll hold, the concrete is solid, it’ll hold, as my eyes see, without processing this information, how objects are falling all around me and smashing to the ground. And then everything suddenly stops moving and roaring, and I’m about to rush inside, but at that moment I’m nailed to the spot again, submerged by the deafening, interminable blast of a monstrous explosion, and this time my eyes seek out the familiar landscape around me, the trees, the buildings in the distance, everything that is always there before me and which now seems to be thunderstruck by the ghastly soundtrack flattening it. When this horror is over at last, I finally run inside while realizing that I still don’t know what has happened, an earthquake, sure, but then why that explosion? or an explosion, okay, but why an earthquake just before it? But there are more urgent things to worry about: my panicked children, Nadim who has blood on his legs, and my wife who has gathered them up and is holding them together in her arms like a rampart against who knows what. 

After a few more minutes of chaos, of fevered gesticulation— find something to wipe away the blood from Nadim’s very light wound, go get some money and our identity cards, without stepping on the broken window glass, in case we have to leave and not come back if there’s an aftershock—the first fragments of information start reaching us, in texts or phone calls, because cell-phone communication has not been cut off, and the unthinkable becomes clear: everyone we manage to contact, everyone who is already posting on social media or calling for help, everyone in the city seems to have experienced the same long nightmarish seconds, and that’s what is so incomprehensible, because each of us thought at the time that it was just our house, our neighborhood, our street that was targeted, and we realize that we all were, at the same time.  

 

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The devastation from the explosion reached almost every part of the capital to varying degrees. But the most affected areas are undoubtedly the northern slope of the hill in Achrafieh and the city’s entire northern seaboard, all the way from the central district to Ain el Mreisseh. And the most terrible destruction within all those areas occurred in and around the Gemmayzeh and Mar Mikhaël neighborhoods, from the port to the city limits of Bourj Hammoud. In a few seconds the blast destroys tens of thousands of apartments in the low-rise buildings and hypermodern skyscrapers scattered across this open stretch of land, blowing apart, pulverizing windows, glass, doors, furniture, and the inhabitants as well. But concrete is strong, the structures of the buildings hold, while hundreds of heritage residences are disemboweled and their old sandstone walls collapse on top of their occupants, while in a single second hundreds of cafés, restaurants, pubs, and stores are reduced to ruins, while scores of cars from the traffic on the avenue along the waterfront are hurled into the air, projected upward, then fall down again like toys, and thousands more in hundreds of streets are suddenly buried under thousands of tons of glass, tiles, and stones that cover the streets in an instant. And during those same few seconds the shock wave sweeps all the way up the hill of Achrafieh right to the top, then down the first few streets on its southern slope, laying waste in the blink of an eye to all the buildings, wards, operating rooms, and the whole population of the Saint George, Geitauoi, and Rosary Hospitals, and all the rooms and collections of the Sursock Museum, all the boutiques and their hundreds of shoppers and browsers in the ABC shopping mall, all the supermarkets, the smaller stores, the market stalls, the street vendors. And during those same few seconds, the same inexplicable and monstrous tempest blasts everything away in Bourj Hammoud, along the freeway toward Dora, through the Karantina district and its hospital in the east, and toward the hill of Ain el Mreisseh in the west, passing through Ghandak el Ghamik and the city center, where in a single instant virtually all the stores cease to exist. After that, for the next two or three minutes, the streets everywhere are filled with a white haze from all the dust and smoking debris, and the haggard pedestrians and residents who manage to get out are nothing but a fright of bloodied ghosts, while tens of thousands of men and women, who were living their lives in houses, offices, and businesses over an area the size of a whole city in itself, are now still prisoners in the rubble, the ruins, the blood, the cries, the calls for help . . .  

 

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In five seconds: two hundred dead, one hundred and fifty missing, six thousand injured, nine thousand buildings damaged, two hundred thousand homes destroyed, as well as hundreds of historic or heritage buildings and four hospitals, ten thousand retail stores, workshops, stalls, boutiques, restaurants, cafés, pubs all reduced to rubble, scores of art galleries and studios belonging to painters, sculptors, stylists, designers, architects all swept away. In five seconds. 

In September 2013, the MV Rhosus, a cargo ship registered under the Moldovan flag, sailing from Batumi and transporting 2,750 tons of ammonium nitrate destined for Mozambique, makes a stopover, for reasons that no one has yet been able to ascertain, at the port of Beirut, where it is deemed unseaworthy and unable to continue on its voyage. The owner of the ship, a Russian by the name of Igor Grechushkin, refuses to pay the port fees, the cost of the necessary repairs, and the crew’s salaries, and abandons the vessel to its fate. The owner of the cargo, a Georgian company called Rustavi Azot, renounces its claim to possession of the goods. In March 2014, this cargo is finally off-loaded at the port and stocked in Hangar number 12. A few months later, the ship sinks at the dock and the cargo is no longer claimed by anyone. Nobody cares, or only vaguely, and memos, but only memos, are sent by various offices to their overseeing ministries, without ever being taken any further. Some of these memos do reach the highest levels of the government, which accords them no attention whatsoever, and the cataclysmic cargo continues sleeping there for six years in the most perfect indifference. Except that experts in industrial chemistry consider it unlikely that the explosion was caused by the declared quantity. They think that the damage would have been much greater than it was. And yet that figure of 2,750 tons does appear on the manifest registered by the port authorities in September 2013. A portion of the ammonium nitrate might have been taken away and used in between times, which would mean that the cargo was not forgotten, was not sleeping, but was actually being used by a party whose identity remains a mystery, and used thanks to the complicity, corruption, collusion, political calculations, or strategies of a countless number of people. 

Now of course all the aberrations regarding the history of this terrifying stock suddenly make sense. The lies no longer appear to be intended to cover up negligence or amateurism, but rather to hide more disturbing truths. An owner who abandons his ship, a ship that sinks in port, a company that no longer claims its cargo that is probably worth a fortune, a destination country that declares as naturally as you please that it has ordered a new supply because the first one simply never arrived, without worrying about the reasons why: everything points to this being a B-grade novel and leads us to believe that Lebanon was in fact the final destination. And especially that the stocked raw material was very probably being used, and from the very first day. The control that Hezbollah wields over the port inexorably leads to the conclusion that this use was being made under its aegis, and obviously for military purposes. Which would explain the silence of the port authorities, who would have turned a blind eye out of fear, collusion, or corruption. 

As for finding out what directly caused the catastrophe, the hypotheses are numerous: an accident, an attack, airborne or not, or sabotage. The only certainty is that there was something burning for fifty minutes in a warehouse next to Hangar number 12. Everyone saw it, I followed the progress of the fire myself with relative indifference, not knowing what it would lead to, thanks to video clips shared on a WhatsApp group chat. What caused the fire remains a mystery, as do the contents of that neighboring warehouse. On the videos, at one point you can clearly distinguish strange streaks of light and crackling sounds, which led some port officials to claim that there was a stock of fireworks stored next to the ammonium nitrate. Those shameless lies and pantomimes only gave further credit to the hypotheses that the burning neighboring warehouse in fact contained weapons or munitions, which would make the contents of the two hangars absurdly homogeneous and consistent. 

Whether the fire was accidental or whether it was arson, whether there were weapons nearby or not, all those distinctions no longer matter anymore. Whatever the case, whether it was one or the other or something else altogether, whatever the circumstances that led to this situation in the port of Beirut, the result is one and the same: on August 4, 2020, at 6:07 p.m., the cargo—or whatever was left of it, whether it was heated by the nearby fire or blown up by a nearby explosion in a weapons store or bombed from the air—exploded. Six years of lack of transparency and accountability, the result of thirty years of corruption and lies, of mafialike practices, of collusion between the various arms of government, the various ministries, political parties, and their clients, of devious geopolitical scheming and sinister warmongering by bloodthirsty, criminal militias, all this was concentrated, condensed in the most terrifying manner, and generated that five-second apocalypse. 

Published April 17, 2022
Excerpted from Charif Majdalani, Beirut 2020: Diary of the Collapse, Other Press, New York 2021
© OTHER PRESS NEW YORK, 2021

From Beirut 2020: diario di un collasso

Written in French by Charif Majdalani


Tradotto in italiano da Daniela Marina Rossi

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Martedì 4 agosto, ore 18:07. Sto lavorando in terrazza dove ho appena terminato il capitolo sui preparativi per la partenza di Sabine. Prima di affrontare il successivo, di cui ho già scritto le prime parole, mi alzo per riportare in cucina il piatto della frutta che ho appena finito di mangiare quando ricevo un messaggio vocale. Poso il piatto su un tavolino, faccio partire il messaggio e lo ascolto, in piedi. All’improvviso il sole comincia a muoversi con una violenza inaudita, accompagnato da una specie di ruggito terrificante. Spaventato, sento la terrazza andare e venire come una povera altalena e ovviamente penso a un terremoto. Con la mente paralizzata, immobile in balìa del sisma come se il minimo movimento potesse accrescere l’impressione di totale perdita di controllo delle cose, continuo a ripetermi «ora finisce ora finisce ora finisce» e penso anche «i bambini i bambini» e pure «il cemento è solido e resisterà il cemento è solido e resisterà», mentre con lo sguardo capto senza gestirle le informazioni sugli oggetti che mi cadono tutto intorno e si frantumano a terra. Poi di colpo il movimento e il ruggito si placano, faccio per precipitarmi in casa ma rimango di nuovo inchiodato al pavimento, inondato dal fracasso interminabile e mostruoso di un’enorme esplosione, e stavolta gli occhi si fissano su quel paesaggio familiare, gli alberi, gli edifici in lontananza, tutto quello che mi sta continuamente di fronte e che in quel preciso momento mi si presenta folgorato dal terribile sonoro che l’ha investito dall’alto. Quando anche questo orrore passa, corro finalmente dentro e mi rendo conto di non riuscire a capire cosa sia successo, «va bene il terremoto, ma perché l’esplosione?» oppure «va bene un’esplosione, ma perché il terremoto poco prima?». Peccato però che ci sia qualcosa di più urgente, tipo i miei figli in preda al panico, Nadim che ha del sangue sulle gambe e mia moglie che li ha riuniti a sé e li tiene stretti tra le braccia per fare da scudo a non si sa cosa.

Tempo qualche minuto di smarrimento, e di gesti febbrili (per trovare qualcosa con cui tamponare il sangue della piccola ferita di Nadim e afferrare dei soldi e le nostre carte d’identità, evitando di camminare sui vetri sbriciolati, nell’eventualità di dover uscire per non tornare più, se il fenomeno si fosse ripetuto), e già cominciano ad arrivare le prime informazioni, via messaggio o per telefono, perché le comunicazioni non sono state interrotte. Ed ecco che emerge l’impensabile: tutti quelli che riusciamo a chiamare, tutti quelli che già pubblicano post sui social o che lanciano richieste di aiuto, insomma tutte le persone da un capo all’altro della città sembrano aver vissuto gli stessi lunghi secondi da incubo, ed è questa la cosa incomprensibile, perché ognuno ha pensato che fosse stata presa di mira la sua casa, il suo quartiere, la sua via, e invece lo siamo stati tutti, contemporaneamente.

 

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Le rovine dell’esplosione hanno raggiunto, in gradi diversi, quasi ogni angolo della capitale. Ma non c’è dubbio che le zone più colpite siano state il versante nord della collina di Achrafieh e tutto il fronte marittimo settentrionale della città, fino ad Ain el-Mreissé passando dal centro. E al centro di quest’area, i danni più terribili sono quelli subiti in lungo e in largo nei quartieri di Gemmayzé, Mar Mikhaël e dintorni, dal porto fino ai vicoli di Bourj Hammoud. In pochi secondi, lo spostamento d’aria distrugge decine di migliaia di appartamenti nei palazzi e nei modernissimi grattacieli sparsi su questo territorio assai scoperto, polverizzando e sconquassando ovunque vetri, finestre, porte, mobili e arredi, insieme agli abitanti. Il cemento resiste, la struttura degli edifici tiene, ma centinaia di dimore storiche vengono sventrate e le loro vecchie pareti di pietra arenaria crollano sugli occupanti. In pochi istanti centinaia di bar, ristoranti, pub e negozi sono ridotti in briciole, decine di automobili, tra le tante che passano sul viale che costeggia il porto, vengono scagliate in aria e ricadono a terra come giocattoli, e migliaia di altri veicoli su centinaia di strade si ritrovano di colpo seppelliti dalle tonnellate e tonnellate di vetri, tegole, pietre e mattoni che bombardano e ricoprono le vie. In quei pochi secondi, l’onda d’urto investe la collina di Achrafieh fino alla sommità e poi le prime vie del suo versante sud, devastando in un batter d’occhio tutti gli impianti, le camere e le sale operatorie e travolgendo tutte le persone che si trovano nell’ospedale Saint-Georges, nell’ospedale Geitaoui e in quello del Rosario, tutte le sale e le collezioni del museo Sursock, tutte le boutique e le centinaia di avventori e di clienti presenti nel centro commerciale ABC, in tutti i supermercati, i negozi, le botteghe, i chioschi. E sempre durante quei pochi secondi, verso Bourj Hammoud e sulla superstrada che procede in direzione Dora, passando dal quartiere della Quarantaine e dal suo ospedale a est, e della collina di Ain el-Mreissé a ovest, passando per Khandak el-Ghamik e il centro città, dove la quasi totalità dei negozi è sparita in un istante, la stessa inesplicabile e mostruosa tempesta soffia via tutto. Dopodiché, nei due o tre minuti che seguono, dappertutto, tra le vie nebbiose e bianche a causa della polvere e dei calcinacci che fumano, i passanti stravolti e gli abitanti che riescono a uscire dai ruderi non sono altro che uno spaventoso corteo di fantasmi insanguinati, mentre le decine di migliaia di uomini e donne che vivono la loro vita all’interno delle case, degli uffici e dei negozi, su un territorio di per sé equivalente a un’intera città, sono ancora prigionieri delle macerie, delle rovine, del sangue, delle urla e delle richieste di aiuto… 

 

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In cinque secondi: duecento morti, centocinquanta dispersi, seimila feriti, novemila edifici danneggiati e duecentomila abitazioni distrutte, oltre a centinaia di edifici storici e quattro ospedali, diecimila negozi, laboratori, chioschi, botteghe, boutique, ristoranti, bar e pub sbriciolati, decine di gallerie d’arte, atelier di pittura e scultura, laboratori di moda, design e architettura spazzati via. In cinque secondi.

A settembre del 2013, la MV Rhosus, un mercantile battente bandiera moldava e proveniente da Batoum che trasporta 2.750 tonnellate di nitrato d’ammonio destinate al Mozambico fa scalo, per motivi che nessuno è ancora riuscito a chiarire, nel porto di Beirut, dove il suo stato è giudicato inadatto a proseguire il viaggio. Il proprietario, un russo di nome Igor Gretchouchkine, si rifiuta di pagare i diritti portuali, le riparazioni necessarie e gli stipendi dei marinai, e abbandona la nave al suo destino. Il proprietario del carico, una compagnia georgiana di nome Rustavi Azot, rinuncia a rientrare in possesso della sua merce. A marzo 2014, quel carico viene finalmente sbarcato e depositato nell’hangar portuale n. 12. Qualche mese più tardi, il mercantile affonda nella darsena e nessuno reclama più il carico. Tutti sembrano disinteressarsene, a parte qualche nota in proposito, ma niente di più, che viene inviata da vari servizi ai rispettivi ministeri di competenza e non viene mai più ritrasmessa. Alcune di queste comunicazioni arrivano ai piani alti delle gerarchie statali, che sembrano non farci molto caso, e il carico cataclismatico continua così a «dormire» per sei anni tra l’indifferenza generale. Senonché gli esperti del settore chimico ritengono poco probabile che sia realmente esplosa la quantità dichiarata, che avrebbe provocato danni assai peggiori di quelli realmente subiti. Eppure il documento registrato alla capitaneria di porto nel settembre del 2013 riporta proprio quella cifra: 2.750 tonnellate. Dunque una parte del nitrato d’ammonio sarebbe nel frattempo stata prelevata e utilizzata, e questo significa che il carico non era stato dimenticato, non stava «dormendo» e, al contrario, era stato prelevato e utilizzato in una quantità rimasta fino allora sconosciuta, grazie a innumerevoli complicità frutto di corruzione, collusione o svariati calcoli politici e strategici.

All’improvviso tutte le aberrazioni che riguardano la storia di quel carico terrificante cominciano ad avere un senso. Le menzogne non sembrano più destinate a coprire negligenze o ingenuità, bensì a nascondere verità molto più scomode. Un armatore che abbandona la sua nave, la nave che cola a picco nel porto, una società che non reclama più il suo carico che verosimilmente costa una fortuna, un Paese di destinazione che, come se niente fosse, afferma di avere ordinato di nuovo la merce perché la prima volta non gli era stata recapitata, senza indagare minimamente sui motivi di quella mancata consegna: tutto conferma che si tratta di una brutta storia e fa pensare che la destinazione finale di quelle migliaia di tonnellate di carico era proprio il Libano. E soprattutto che, con ogni probabilità, quel materiale è stato utilizzato sin dal primo giorno. Il controllo che la Hezbollah esercita sul porto di Beirut porta inevitabilmente a credere che l’utilizzo sia avvenuto sotto la sua egida, e per motivi chiaramente militari. Questo spiegherebbe il silenzio delle autorità portuali, che avrebbero chiuso gli occhi per paura, collusione o corruzione.

Quanto a capire cosa sia stato di preciso a causare il dramma, le ipotesi sono numerose: un incidente, un attacco (aereo o meno) o un sabotaggio. L’unico elemento certo è che, durante i cinquanta minuti che hanno preceduto la catastrofe, qualcosa bruciava in un hangar adiacente al numero 12. L’ha visto il mondo intero, pure io ho seguito la progressione dell’incendio con relativa indifferenza, senza sapere ciò che ci avrebbe riservato, grazie a delle immagini filmate e postate in una conversazione di gruppo su Whatsapp. Cos’abbia provocato quell’incendio rimane un mistero, così come il contenuto dell’hangar che bruciava. Nei video a un certo punto si distinguono nettamente delle strane zebrature luminose e dei crepitii, tanto che quelle immagini hanno spinto alcuni responsabili del porto a parlare di un carico di fuochi d’artificio depositato accanto al nitrato d’ammonio. Questi atteggiamenti e queste menzogne spudorate hanno contribuito ad avvalorare l’ipotesi secondo cui il deposito adiacente, quello incendiato, conteneva armi e munizioni, cosa che renderebbe paradossalmente analogo e coerente il contenuto dei due hangar.

Che quell’incendio sia stato accidentale o intenzionale, che ci fossero armi oppure no accanto al nitrato d’ammonio, ormai non ha più molta importanza. Che un caso o l’altro o qualsiasi altra circostanza abbia portato a quella situazione nel porto di Beirut, l’unica certezza è che il 4 agosto 2020, alle 18:07, il carico o ciò che ne restava, surriscaldato dal calore dell’incendio o travolto dalla deflagrazione di un deposito di armi oppure bombardato, è esploso. Sei anni di opacità e irresponsabilità, prodotti da trent’anni di corruzione, falsità, politiche mafiose e collusioni tra i vari servizi dello Stato e i ministeri, i partiti politici e le loro clientele, da intrallazzi geopolitici aberranti e tristi logiche guerrafondaie pianificate da milizie criminali, si sono concentrati e condensati in modo terrificante e hanno generato i cinque secondi dell’apocalisse.

Published April 17, 2022
© Specimen 2022


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