From Dialogue sur l’art et la politique
Written in French by Ken Loach and Édouard Louis
É. L. : Il y a autre chose dont j’aimerais parler avec toi, parce que je ne suis pas sûr qu’on soit d’accord… Comme tu le sais, j’ai écrit principalement sur les communautés postindustrielles du Nord de la France, sur un petit village où, quand j’étais enfant, avant la fermeture et la délocalisation des sites industriels, tout le monde ou presque, les hommes surtout, travaillaient dans l’usine du village… Pendant toute la première partie de ma vie, j’ai vu des hommes souffrir du travail à la chaîne à l’usine, rentrer épuisés du travail, avec des douleurs au dos et aux articulations, le corps courbé par la répétition mécanique des tâches à la chaîne… Tout ça fait que, aujourd’hui, quand je vois des reportages ou des articles qui évoquent la fermeture d’une usine, je ne peux pas m’empêcher de ressentir un certain soulagement, voire une certaine joie, une joie contrariée, mais une joie quand même. Au fond je ne peux pas supporter l’idée que des gens travaillent dans une usine – on sait d’ailleurs aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu autant d’usines dans le monde, simplement elles ont été délocalisées, majoritairement en Asie, il n’y a jamais vraiment eu de désindustrialisation, plutôt un déplacement… Évidemment, je vois contre quoi les gens protestent quand ils sont confrontés à la fermeture d’une usine : ce sont les ouvriers et les ouvrières qui seront jetés à la rue, sans travail, plongés dans la précarité et la pauvreté, et bien sûr je suis révolté par ça… Mais je me demande s’il ne faudrait pas reformuler les perceptions politiques, et, dire, dans ce genre de situation : comment est-ce que l’État peut et doit s’organiser pour donner une compensation à ces gens qui perdent leur travail ? S’interroger, plutôt, sur la distribution des richesses et le devoir d’assistance sociale que sur la survie des industries… Il y a des économistes aujourd’hui qui montrent que, grâce à l’automatisation et aux progrès technologiques, nous pourrions vivre dans des sociétés où les individus travailleraient moins : on pourrait taxer le travail des robots, taxer plus le capital et le marché… Je me sens aussi éloigné des personnes qui militent pour la destruction des aides sociales et de l’idée d’assistance que de celles qui disent « il faut sauver nos usines et nos emplois », car je ne souhaite à personne de travailler dans une usine ; j’ai vu des personnes avoir le corps détruit par ce travail, et c’est pour moi, je ne peux pas m’empêcher de le penser, une forme de travail dépassé… Est-ce qu’on ne pourrait pas penser un projet de société qui romprait avec la valorisation du travail ?
K. L. : Oui, mais je pense qu’il y a deux choses à distinguer. La première, c’est que personne ne veut exercer un travail dangereux, sale ou qui s’apparenterait à une forme d’exploitation. Mais en même temps, c’est un instinct naturel, ce qui nous permet de rester engagés dans la société, c’est le fait de tous apporter une contribution à cette société. Tout le monde en fait partie, tout le monde y tient un rôle. Et c’est ce qui procure à chacun une forme de respect et de considération de soi, et une forme de fierté : voilà ma contribution, ma présence a un sens, j’ai une fonction. Et je pense que c’est très important.
É. L. : Mais il peut y avoir d’autres sources d’épanouissement et de considération que celle apportée par ce qu’on appelle traditionnellement le travail.
K. L. : Absolument !
É. L. : Cela peut vouloir dire des gens qui créent de la musique ou de la littérature, ou un club de football, ou des ateliers de danse, ou des gens qui dansent pour eux-mêmes, et tout ça serait d’autant plus possible si les gens travaillaient moins…
K. L. : Oui, absolument.
É. L. : Mais tout ça n’est pas reconnu comme valable pour les États, la plupart du temps…
K. L. : Je suis d’accord. Mais ce qui est arrivé aux mines en Angleterre est un exemple classique de tout ça. Le travail dans les mines, s’il y a bien un travail dangereux et sale, c’est le travail dans les mines. Tu vois de quoi je veux parler, huit heures par jour sous terre. Tout le monde dans la famille de mon père avait été mineur. Mon grand-père était mineur. Et ce n’est pas le genre de travail qu’on peut souhaiter pour ses enfants… Mais ils avaient créé des communautés formidables ! Et puis les mines ont été fermées, à la fin des années 1980 et dans les années 1990, quand Thatcher a délibérément lutté contre les mineurs pour se débarrasser d’eux, à cause de leur force et de leur tradition militante qui lui posaient problème, et après cela on a laissé pourrir ces communautés. Aujourd’hui, si nous vivions dans des sociétés correctes, on investirait et on procurerait à ces gens de nouvelles fonctions. On ne les laisserait pas sans rien, leurs communautés seraient protégées. A la place de ça, ce qui se passe avec le capitalisme, c’est qu’on dit : d’accord, le capital s’effondre, nous partons, l’argent est transféré et investi ailleurs des communautés entières sont abandonnées.
É. L. : Mais en même temps, on ne peut pas poser la communauté comme un idéal, les communautés peuvent être difficiles, par définition, et même toxiques. Quelle vie avait un enfant gay par exemple dans ces communautés de mineurs dont tu parlais ? Est-ce que la communauté le protégeait ? Je n’en suis pas sûr… Quelle est la vie d’un gay aujourd’hui qui grandit dans une cité ou une zone rurale en France ? Il y a aussi la domination masculine qui peut être très dure dans les classes populaires. J’ai connu dans mon enfance des femmes comme ma mère ou ma sœur qui en souffraient beaucoup, ma sœur a subi des formes de violences physiques de la part de plusieurs hommes. Pour les femmes, la communauté – implicitement : la communauté hétérosexuelle – est souvent le principe de l’oppression. L’enfant gay que j’ai été, dans un milieu ouvrier, aurait préféré que la communauté soit moins présente. Et en même temps, je comprends ce que tu veux dire, le fait est que les politiques contemporaines ont, en défaisant ces communautés, défait les syndicats, défait une culture de gauche très importante et la possibilité pour les plus précaires de s’organiser politiquement, parce qu’ils sont isolés, sans lieux en commun, sans culture professionnelle commune. Alors quelle est la solution ? Comment rendre l’organisation politique de nouveau possible, sans nostalgie ? Rien n’est facile, c’est comme ce qu’on se disait tout à l’heure sur les usines, si un ouvrier me dit : « Mais moi je veux continuer de travailler à l’usine », est-ce que, moi, je peux lui répondre : « Mais non, l’usine est aliénante et violente, tu ne dois pas vouloir ça » ? Qui peut décider pour un autre ce qui est violent ? Il n’y a pas de réponse facile. Pour la question des communautés, peut- être que la modernité nous offre des manières de dépasser le problème. Internet, par exemple, peut permettre de créer des communautés choisies plutôt que des communautés subies : si on grandit dans un petit village isolé, on peut créer des liens avec la communauté gay sur internet, ou avec des gens avec qui on partage une passion, ce qui était beaucoup plus difficile dans les années 1960 ou 1970… Je comprends la violence que tu évoques, quand tu dis que le capitalisme détruit les communautés, mais en même temps je veux en tant qu’individu avoir le droit de quitter ou rejeter ma communauté si je le veux, et peut-être que la modernité a malgré tout rendu cela possible…
K. L. : Oui, c’est une remarque juste. En général, je pense que les gens sont plus tolérants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient par le passé, et que les formes de communication modernes, comme internet, ont élargi les horizons des uns et des autres. Mais je pense que les personnes sont généreuses quand elles se sentent en sécurité. Et qu’elles sont plus intolérantes quand elles ne se sentent pas en sécurité. Que ce soit dans un contexte urbain ou dans un village, je pense que l’esprit de générosité vient du sentiment de sécurité matérielle.
É. L. : C’est vrai, pourtant est-ce qu’il n’y a pas aussi des mécanismes proprement idéologiques de racisme ou de domination masculine qui ne dépendent pas des conditions matérielles d’existence ? Est-ce que c’est la sécurité ou les conditions de vie ? Mais tu as raison, ce que tu dis sur le sentiment d’insécurité et sur les comportements qu’il peut engendrer est très juste. Je pense que c’est un phénomène complexe que tu as rendu visible dans tes films, le fait que quand des gens vivent dans des conditions sociales violentes et difficiles, avec une forme de violence sociale qui s’abat sur eux de manière constante, ils finissent souvent – pas mécaniquement mais souvent – par développer une forme de violence ou, au moins, d’agressivité vis-à-vis des autres. Ce que tu dis là sur l’insécurité et les conditions matérielles d’existence me semble aussi important pour échapper aux deux manières traditionnelles dont les classes populaires sont évoquées, autant dans les médias, que dans l’art ou dans la politique : il y a d’un côté, la vision réactionnaire, de droite, qui voit les pauvres comme, pour le dire rapidement, dangereux, violents, paresseux (et c’est par ces discours que sont justifiées toutes les réformes de persécution), et de l’autre côté, une vision prétendument de gauche, qui voit les pauvres comme authentiques, bons vivants, intrinsèquement bons et généreux. C’est un peu les deux mêmes visions qui ont structuré la perception colonialiste et raciste européenne au moment de la colonisation : les colonisés étaient soit vus comme des sauvages dangereux, violents, soit comme des bons sauvages, authentiques, avec un grand cœur, etc. Et ces deux visions prétendument opposées sont en réalité ce que Pierre Bourdieu aurait appelé « adversaires complices » : ils prétendent s’opposer, mais en réalité ils forment une seule et même structure de pensée. Il est frappant de voir à quel point ces deux points de vue complices, sauvages/bons sauvages, continuent de définir en grande partie la façon dont le discours public représente les dominés – les pauvres en particulier, mais pas seulement. Une des choses que j’essaye de montrer dans mes livres, et qui est très présente dans tes films, c’est la manière dont la violence, quand elle s’abat sur les individus de manière continue, les force à reproduire cette violence, comme s’ils en devenaient les conducteurs, comme si la violence n’était pas une propriété mais un flux… Ce qui veut dire que les hommes ou les femmes des classes populaires ne sont ni violents intrinsèquement ni des sortes d’anges authentiques (c’était la vision du réalisme socialiste !), mais que la violence qui traverse ces milieux est une violence prolongée, perpétuée, qui vient de la violence de classe. Ce qui veut dire que quelqu’un qui parle de l’homophobie ou du racisme dans les milieux populaires ne stigmatise pas les classes populaires, comme on a pu me le reprocher à la publication de Eddy Bellegueule ou de Histoire de la violence, mais montre au contraire que les dominés sont victimes de la violence deux fois : au moment où ils la reçoivent et au moment où ils sont contraints de la reconduire (ce qui ne veut pas dire que c’est systématique, que c’est à chaque fois ou qu’il n’y a pas de violence dans d’autres classes, pour d’autres raisons bien sûr !). C’est toute la vision de ce qu’est la violence qu’il faut repenser. Je pense que cette loi de perpétuation de la violence est une loi sociologique qui s’observe aussi au niveau individuel : tout le monde a vécu ça au moins une fois dans sa vie, vous avez une mauvaise journée au travail, vous rentrez, vous êtes épuisé, et vous êtes agressif ou agressive avec une personne que vous aimez. Plus tard, vous vous en voulez et vous pensez « mais pourquoi est-ce que j’ai été aussi agressif ? », parce que vous vous rendez compte que vous avez été traversé par une forme d’agressivité, de violence, qui ne vous appartient pas, que c’est ce flux, la violence, qui a utilisé votre corps comme un conducteur.
K. L. : Oui exactement. Je veux dire, c’est du stress que tout cela vient, non ? Quand vous travaillez, vous devez mettre un sourire sur votre visage, vous êtes dans le monde, vous devez présenter un visage public, pour les autres. Quand vous rentrez à la maison, après une longue jour- née au travail, vous n’êtes plus obligé de présenter cet autre visage à la place du vôtre, et c’est à ce moment que toute la pression ressort, exactement à ce moment-là. Pour le film, Sorry We Missed You, mon équipe et moi avons travaillé avec des travailleurs précaires, des chauffeurs qui doivent conduire douze heures par jour, sans aucune pause, juste pour pouvoir toucher le salaire minimum. Nous avons échangé aussi avec des personnes qui travaillent dans le soin, des infirmières, etc., qui sont dans la même situation, et beaucoup d’autres gens dans le même cas… Et ce stress économique, ce « il faut réussir à gagner assez d’argent, travailler le plus possible cette semaine », fait qu’à la fin de la semaine, quand vous rentrez chez vous, vous n’avez plus de patience pour les enfants, la famille, vous n’avez pas vu vos enfants, et le stress vient de cette épreuve économique constante, je pense.
É. L. : Il faudrait réussir à montrer qu’il existe ce qu’on pourrait appeler une double violence de la politique : d’abord au moment où les gouvernements suppriment des aides sociales, précarisent les conditions de travail, déremboursent des médicaments, etc. et ensuite quand ces réformes ont un impact intime sur la vie des gens, à cause de ce stress dont tu parles. À chaque réforme violente contre les classes les plus précaires, on peut imaginer qu’en conséquence des parents seront moins patients et moins compréhensifs avec leurs enfants, que des gens qui s’aiment seront moins tendres l’un envers l’autre. Peut-être que si dans mon enfance mon père avait vécu dans une situation économique moins lourde, il aurait été plus compréhensif vis-à-vis de ce qu’il voyait comme mon « anormalité », mon homosexualité. Quand on parle de violence politique, on ne pense jamais à ce deuxième aspect de la violence économique, l’aspect intime de la politique…
Published August 27, 2024
© Presses Universitaires de France / Humensis, 2021
From Dialogo sull’arte e la politica
Written in French by Ken Loach and Édouard Louis
Translated into Italian by Annalisa Romani
É. L.: Mi piacerebbe parlare con te di un’altra cosa, perché non sono sicuro che siamo d’accordo… Come sai ho scritto principalmente delle comunità postindustriali del nord della Francia, di un paesino in cui quando ero piccolo tutti, o quasi, soprattutto gli uomini, lavoravano nella fabbrica del posto, prima della chiusura e della delocalizzazione dei siti industriali… Nella prima parte della mia vita ho visto uomini soffrire per il lavoro in catena di montaggio, tornare a casa sfiniti, con dolori alla schiena e alle articolazioni, il corpo piegato dalla ripetizione meccanica di mansioni concatenate… Per questo, oggi, quando vedo reportage o articoli sulla chiusura di una fabbrica è più forte di me, provo un certo sollievo, quasi una gioia, magari stizzita, ma pur sempre una gioia. In fondo non riesco a sopportare l’idea che delle persone lavorino in fabbrica – oggi del resto sappiamo che non ci sono mai state così tante fabbriche nel mondo, sono state semplicemente delocalizzate, principalmente in Asia, non c’è mai stata una vera deindustrializzazione, piuttosto uno spostamento… Capisco bene contro cosa protesta la gente quando si ritrova di fronte alla chiusura di una fabbrica: sono gli operai e le operaie che verranno buttati per strada, senza lavoro, immersi nella precarietà e nella povertà, ed è ovvio che questo mi rivolta… Mi chiedo però se non dovremmo riformulare le percezioni politiche e dire, in situazioni del genere: come può e deve organizzarsi lo stato per risarcire chi perde il lavoro? Interrogarci sulla distribuzione delle ricchezze e il dovere di assistenza sociale piuttosto che sulla sopravvivenza delle industrie… Oggi degli economisti hanno mostrato come potremmo vivere in società in cui le persone lavorano meno, grazie all’automatizzazione e ai progressi tecnologici: si potrebbe tassare il lavoro dei robot, tassare di più il capitale e il mercato… Mi sento lontano da chi milita per la distruzione degli aiuti sociali e dell’idea di assistenza così come da chi dice: “bisogna salvare le nostre fabbriche e i nostri posti di lavoro”, perché non auguro a nessuno di essere assunto in una fabbrica; ho visto persone con il corpo distrutto da questa occupazione, e per me è, ne sono fermamente convinto, una forma di impiego superata… Non potremmo pensare a un progetto di società che rompa con la valorizzazione del lavoro?
K. L.: Sì, ma penso che si tratti di due cose distinte. La prima è che nessuno vuole fare un lavoro pericoloso, sporco o in qualche modo simile a una forma di sfruttamento. Ma allo stesso tempo è un istinto naturale, è ciò che permette di restare impegnati nella società, è il fatto di apportare un contributo a questa collettività. Tutti ne fanno parte, tutti vi giocano un ruolo. E questo infonde in ciascuno una forma di rispetto e di considerazione di sé, una forma di orgoglio: ecco il mio contributo, la mia presenza ha un senso, ho una funzione. Penso che sia molto importante.
É. L.: Ma ci possono essere altre fonti di realizzazione e di considerazione oltre a quello che tradizionalmente chiamiamo lavoro.
K. L.: Assolutamente sì!
É. L.: Ad esempio creare musica, letteratura, una squadra di calcio, corsi di danza, o ballare solo per il piacere di farlo, e tutto ciò sarebbe possibile se le persone lavorassero meno…
K. L.: Sì, assolutamente.
É. L.: Ma il più delle volte queste cose per lo stato non hanno valore…
K. L.: Sono d’accordo. Quello che è successo nelle miniere in Inghilterra ne è un esempio tipico. Se c’è un lavoro sporco e pericoloso è proprio quello. Sai cosa intendo, otto ore al giorno sotto terra. Nella famiglia di mio padre erano tutti minatori. Mio nonno era minatore. E non è il tipo di lavoro che augureresti ai tuoi figli… Ma avevano creato comunità formidabili! E poi le miniere sono state chiuse quando Margaret Thatcher, alla fine degli anni ottanta e negli anni novanta, ha lottato deliberatamente contro i minatori per sbarazzarsene, perché per lei la loro forza e la loro tradizione militante erano un problema. E poi quelle comunità sono state lasciate a marcire. Oggi, se vivessimo in società giuste, si investirebbe e si offrirebberonuove funzioni a quelle persone. Non sarebbero lasciate senza niente, quei gruppi verrebbero protetti. Quello che succede con il capitalismo, invece, è che dicono: “Va bene, il capitale crolla, noi ce ne adiamo, trasferiamo i soldi altrove,” ed è così che intere comunità vengono abbandonate.
É. L.: Ma allo stesso tempo non possiamo porre le comunità, che per definizione possono essere difficili e perfino tossiche, come un ideale. Che vita aveva, poniamo, un bambino gay in quelle comunità di minatori di cui parli? La comunità lo proteggeva? Non ne sono sicuro… Oggi com’è la vita di un gay che cresce in un agglomerato urbano o in una zona rurale in Francia? Nelle classi popolari c’è anche il dominio maschile, e può essere molto duro. Nella mia infanzia ho conosciuto donne come mia madre o mia sorella che ne soffrivano parecchio, mia sorella ha subito forme di violenza fisica da parte di diversi uomini. Per le donne la comunità – che implicitamente è la comunità eterosessuale – è spesso il principio dell’oppressione. Sono stato un bambino gay in un ambiente operaio, e avrei preferito che la collettività fosse meno presente. Allo stesso tempo capisco cosa vuoi dire, il fatto è che i politici contemporanei, distruggendo quei gruppi, hanno disfatto i sindacati, disfatto una cultura di sinistra molto importante e la possibilità per i più precari di organizzarsi politicamente, perché sono isolati, senza luoghi in comune, senza una cultura professionale condivisa. Allora qual è la soluzione? Come si può rendere ancora possibile l’organizzazione politica, senza nostalgia? Non c’è nulla di facile, è un po’ come il discorso che facevamo prima sulle fabbriche, se un operaio mi dice: “Ma io voglio continuare a lavorare in fabbrica” posso io rispondergli: “Ma no, la fabbrica è alienante e violenta, non la devi volere questa cosa”? Chi può decidere per un altro cosa è violento? Non c’è una risposta facile. Per quanto riguarda le comunità, forse degli strumenti per superare il problema sono offerti dalla modernizzazione. Internet, per esempio, permette di creare collettività scelte, piuttosto che subite: se cresci in un paesino isolato, puoi stringere legami in rete con la comunità gay, o con persone con cui condividere una passione, cosa che era molto più difficile negli anni sessanta o settanta… Capisco a quale violenza alludi, quando dici che il capitalismo distrugge le comunità, ma allo stesso tempo voglio avere il diritto, in quanto individuo, di lasciare o di rifiutare la mia, se lo desidero, e forse la modernità, nonostante tutto, questa cosa l’ha resa possibile…
K. L.: Sì, è un’osservazione giusta. Penso che le persone siano in genere più tolleranti oggi di quanto non lo fossero in passato, e che le forme di comunicazione moderne, come internet, abbiano permesso di ampliare reciprocamente gli orizzonti. Ma credo che gli individui siano generosi quando si sentono al sicuro. E che siano più intolleranti quando non si sentono al sicuro. Che sia in un contesto urbano o in un paese, penso che la generosità provenga dal sentire una sicurezza materiale.
É. L.: È vero, ma non ci sono anche dei meccanismi propriamente ideologici di razzismo o di dominio maschile, indipendenti dalle condizioni materiali di esistenza? È la sicurezza o sono le condizioni di vita? Ma hai ragione, quello che dici sul sentimento di insicurezza e sui comportamenti che ne possono derivare è giustissimo. Penso sia un fenomeno complesso che tu hai reso visibile nei tuoi film, il fatto che quando le persone vivono costantemente in condizioni sociali violente e difficili, finiscono spesso – non in modo automatico ma spesso – per sviluppare una forma di violenza o almeno di aggressività nei confronti degli altri. Quello che hai detto ora sull’insicurezza e le condizioni materiali di esistenza mi sembra importante anche per sfuggire ai due modi tradizionali con cui le classi popolari sono descritte tanto dai media quanto dall’arte o dalla politica: da un lato c’è la visione reazionaria, di destra che, per dirla in breve, considera i poveri pericolosi, violenti, pigri (ed è con questi discorsi che vengono giustificate tutte le riforme di persecuzione), e dall’altra parte ce n’è una falsamente di sinistra che considera i poveri accomodanti, autentici, intrinsecamente buoni e generosi. Sono le due idee che al momento della colonizzazione hanno strutturato la percezione colonialista e razzista dell’Europa: i popoli occupati erano visti sia come pericolosi selvaggi, violenti, sia come buoni selvaggi, spontanei, con un cuore enorme ecc. E questi due giudizi, apparentemente opposti, sono ciò che Pierre Bourdieu avrebbe chiamato “avversari complici”: si dichiarano in contrasto, ma in realtà formano una stessa e unica struttura di pensiero. È impressionante notare quanto questi due punti di vista complici, quello del selvaggio e del buon selvaggio, continuino a definire in gran parte il modo con cui il discorso pubblico rappresenta i dominati – i poveri in particolare, ma non solo. Una delle cose che cerco di mostrare nei miei libri, e che è molto presente nei tuoi film, è la maniera in cui la violenza, quando si abbatte sugli individui in modo continuo, li spinge a riprodurre gli stessi comportamenti, come se ne divenissero i conduttori, come se la violenza non fosse una proprietà ma un flusso… Questo vuol dire che gli uomini o le donne delle classi popolari non sono né intrinsecamente violenti né delle specie di angeli autentici (era la visione del realismo socialista!), ma che la violenza che attraversa questi ambienti è prolungata, perpetuata, e proviene dalla violenza di classe. Ciò significa che parlare dell’omofobia o del razzismo negli ambienti popolari non equivale a stigmatizzare le classi popolari, come mi è stato rimproverato alla pubblicazione di Farla finita con Eddy Bellegueule o di Storia della violenza, ma al contrario mostrare che i dominati sono vittime della violenza due volte: nel momento in cui la ricevono e nel momento in cui sono costretti a rinnovarla (il che ovviamente non significa che sia sistematico, che accada ogni volta o che non avvenga in altre classi, per altre ragioni!). La questione di cosa sia la violenza è tutta da ripensare. Credo che il suo perpetuarsi sia una legge sociologica visibile anche a livello individuale: l’hanno vissuto tutti nella vita, almeno una volta; dopo una brutta giornata al lavoro, tornate sfiniti e siete aggressivi o aggressive con una persona cara. Più tardi ve ne pentite e pensate “ma perché mi sono comportato così?”, vi rendete conto che siete stati attraversati da una forma di aggressività e di violenza che non vi appartiene, che è stato proprio quel flusso a utilizzare il vostro corpo come un conduttore.
K. L.: Sì, è proprio così. In altre parole, viene tutto dallo stress, no? Quando lavorate, dovete stamparvi un sorriso in faccia, siete nel mondo, dovete presentare un volto pubblico, per gli altri. Quando tornate a casa, dopo una lunga giornata al lavoro, non siete più obbligati a presentare quel volto, ed è allora che esce tutta la pressione, proprio in quel momento. Per il film Sorry We Missed You, insieme all’équipe abbiamo girato con lavoratori precari, autisti che devono guidare dodici ore al giorno, senza neanche una pausa, solo per ottenere il salario minimo. Abbiamo parlato anche con persone che svolgono lavori di cura, infermieri e altre professioni simili, e tante altre persone nella stessa condizione… E questo stress economico, questo “bisogna riuscire a guadagnare abbastanza soldi, lavorare il più possibile questa settimana”, fa sì che durante il sabato e la domenica, quando si torna a casa, non si ha più pazienza per i bambini, la famiglia, non si sono visti i propri figli, e penso che lo stress venga da questa prova economica costante.
É. L.: Bisognerebbe riuscire a mostrare che esiste quella che potremmo chiamare una doppia violenza della politica: prima nel momento in cui i governi sopprimono gli aiuti sociali, rendono precarie le condizioni di lavoro, tolgono i rimborsi per le medicine e così via, e poi quando queste riforme hanno un impatto intimo sulla vita della gente, a causa dello stress di cui parli. Possiamo immaginare che a ogni riforma violenta contro le classi più precarie, dei genitori saranno di conseguenza meno pazienti e meno comprensivi con i loro figli, delle persone che si amano saranno meno premurose le une con le altre. Se durante la mia infanzia avessimo avuto una situazione economica meno pesante, forse mio padre sarebbe stato più comprensivo rispetto a ciò che considerava la mia “anomalia”, la mia omosessualità. Quando si parla di violenza politica, non si pensa mai a questo secondo aspetto della violenza economica, l’aspetto intimo della politica…»
Published August 27, 2024
© La nave di Teseo editore, Milano 2022
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Bellinzona (CH), 12-15 settembre 2024
Nel 2024 Babel si rivolge alla Francia, la nazione dove forse più che altrove in Europa letteratura e pensiero filosofico – da Voltaire e Rousseau fino a Sartre, De Beauvoir e Camus, passando per Hugo e Zola – si sono confrontati intimamente con le questioni sociali, dando vita ad alcune delle più significative opere letterarie dell’Occidente.
Babel France va in cerca delle metamorfosi contemporanee di questa grande tradizione, ne indaga tecniche e strumenti, si chiede quali sono le problematiche con cui oggi sembra imprescindibile fare i conti – le differenze di classe, il passato coloniale, il neoliberalismo, la deturpazione del paesaggio, la crisi climatica, il capitalismo finanziario? – e come queste si traducono in letteratura per poi ritradursi in una più acuta coscienza del mondo.
Babel France invita autrici e autori che, lontani dal mero messaggio politico, mischiando e a volte stravolgendo i generi, provano a rendere una testimonianza complessa e stratificata dei traumi e delle aspirazioni di un intero paese, e di come questi si ripercuotono sui singoli individui. Perché la letteratura, per sua stessa vocazione, riporta continuamente alla dimensione umana e ci svela ciò che i densi manuali di teoria politica o di sociologia non riescono a prevedere.
Tra gli ospiti: Laurent Mauvignier, Sandra Lucbert, Gauz’, Diaty Diallo, Seynabou Sonko, Elitza Gueorguieva, Clément Camar-Mercier, Lorenzo Flabbi, Massimo Gezzi. Sara Rossi Guidicelli, Amiata, Jürgen Nefzger.
In attesa del festival, Specimen pubblica una serie di testi legati al tema dell’edizione 2024.
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