From Sur la traduction
Written in French by Paul Ricoeur
| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages
Alors, comment font-ils ?
J’ai annoncé tout à l’heure un changement d’orientation : quittant l’alternative spéculative – traduisibilité contre intraduisibilité – entrons, disais-je, dans l’alternative pratique – fidélité contre trahison.
Pour nous mettre sur la voie de ce renversement, je voudrais revenir sur l’interprétation du mythe de Babel, que je ne voudrais pas clore sur l’idée de catastrophe linguistique infligée aux humains par un dieu jaloux de leur réussite. On peut aussi lire ce mythe, ainsi d’ailleurs que tous les autres mythes de commencement qui prennent en compte des situations irréversibles, comme le constat sans condamnation d’une séparation originaire. On peut commencer, au début de la Genèse, avec la séparation des éléments cosmiques qui permet à un ordre d’émerger du chaos, continuer par la perte de l’innocence et l’expulsion du Jardin, qui marque aussi l’accès à l’âge adulte et responsable, et passer ensuite – et cela nous intéresse terriblement pour une relecture du mythe de Babel – par le fratricide, le meurtre d’Abel, qui fait de la fraternité elle-même un projet éthique et non plus une simple donnée de la nature. Si l’on adopte cette ligne de lecture, que je partage avec l’exégète Paul Beauchamp, la dispersion et la confusion des langues, annoncées par le mythe de Babel, viennent couronner cette histoire de la séparation en l’apportant au cœur de l’exercice du langage. Ainsi sommes-nous, ainsi existons-nous, dispersés et confus, et appelés à quoi ? Eh bien… à la traduction ! Il Y a un après-Babel, défini par « la tâche du traducteur », pour reprendre le titre une première fois évoqué du fameux essai de Walter Benjamin.
Pour donner plus de force à cette lecture, je rappellerai avec Umberto Eco que le récit de Genèse 11,1-9 est précédé par les deux versets numérotés Genèse 10,31.32, où la pluralité des langues semble prise pour une donnée simplement factuelle. Je lis ces versets dans la rugueuse traduction de Chouraki :
Voici les fils de Shem pour leur clan, pour leur langue, dans leur terre, pour leur peuple. Voilà les clans des fils de Noah, pour leur geste, dans leur peuple : de ceux-là se scindent les peuples sur terre après le Déluge.
Ces versets sont dans le ton des dénombrements où s’exprime la simple curiosité d’un regard bienveillant. La traduction est bien alors une tâche, non au sens d’une obligation contraignante, mais au sens de la chose à faire pour que l’action humaine puisse simplement continuer, pour parler comme Hannah Arendt, l’amie de Benjamin, dans Condition humaine.
Suit alors le récit intitulé « Mythe de Babel » :
Et c’est toute la terre : une seule lèvre, d’unique parole.
Et c’est là leur départ d’Orient : ils trouvent un canyon en terre de Shinéar, ils s’y établissent.
Ils disent, chacun à son semblable : allons, briquettons des briques, flambons-les à la flambée. Et la brique devient pour eux pierre, le bitume, mortier.
Ils disent : allons, bâtissons-nous une ville et une tour. Sa tête : aux cieux. Faisons-nous un nom, que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre.
IHVH-Adonaï descend pour voir la ville et la tour qu’ont bâties les fils de l’homme.
IHVH-Adonaï dit : oui, un seul peuple, une seule lèvre pour tous : voilà ce qu’ils commencent à faire ! Maintenant rien n’empêchera tout ce qu’ils auront dessein de faire !
Allons ! Descendons ! Confondons là leurs lèvres, 1’homme n’entendra plus la lèvre de son prochain.
IHVH- Adonaï les disperse de là sur la face de toute la terre. Ils cessent de bâtir la ville. Sur quoi il clame son nom : Bavel Confusion car là confond la lèvre de toute la terre et de là IHVH- Adonaï les disperse sur la face de toute la terre.
Voici le geste de Shem, Shem, âgé de cent ans, engendre Arpakhshad, deux ans après le déluge. Shem vit, après l’engendrement d’Arpakhshad, cinq cents ans. Il engendre des fils et des filles.
Vous avez entendu : il n’y a aucune récrimination, aucune déploration, aucune accusation : « IHVH-Adonaï les disperse de là sur la face de toute la terre. Ils cessent de bâtir. » Ils cessent de bâtir ! Façon de dire : c’est ainsi. Tiens, tiens, c’est ainsi, comme aimait à dire Benjamin. À partir de cette réalité de la vie, traduisons !
Pour bien parler de la tâche de traduire, je voudrais évoquer, avec Antoine Berman dans L’épreuve de l’étranger, le désir de traduire. Ce désir porte au-delà de la contrainte et de l’utilité. Il y a certes une contrainte : si on veut commencer, voyager, négocier, voire espionner, il faut bien disposer de messagers qui parlent la langue des autres. Quant à l’utilité, elle est patente. Si on veut faire l’économie de l’apprentissage des langues étrangères, on est bien content de trouver des traductions. Après tout, c’est comme ça que nous avons tous eu accès aux tragiques, à Platon, à Shakespeare, Cervantès, Pétrarque et Dante, Goethe et Schiller, Tolstoï et Dostoïevski. Contrainte, utilité, soit ! Mais il y a plus tenace, plus profond, plus caché : le désir de traduire.
C’est ce désir qui a animé les penseurs allemands depuis Goethe, le grand classique, et von Humboldt, déjà nommé, en passant par les romantiques Novalis, les frères Schlegel, Schleiermacher (traducteur de Platon, il ne faut pas l’oublier), jusqu’à Hölderlin, le traducteur tragique de Sophocle, et enfin Walter Benjamin, l’héritier de Hölderlin. Et à l’arrière de ce beau monde, Luther, traducteur de la Bible − Luther et sa volonté de « germaniser » la Bible, tenue captive du latin de saint Jérôme.
Qu’est-ce que ces passionnés de traduction ont attendu de leur désir ? Ce que l’un d’entre eux a appelé l’élargissement de l’horizon de leur propre langue − et encore ce que tous ont appelé formation, Bildung, c’est-à-dire à la fois configuration et éducation, et en prime, si j’ose dire, la découverte de leur propre langue et de ses ressources laissées en jachère. Le mot qui suit est de Hölderlin : « Ce qui est propre doit être aussi bien appris que ce qui est étranger. » Mais alors, pourquoi ce désir de traduire doit-il être payé du prix d’un dilemme, le dilemme fidélité/trahison ? Parce qu’il n’existe pas de critère absolu de la bonne traduction ; pour qu’un tel critère soit disponible, il faudrait qu’on puisse comparer le texte de départ et le texte d’arrivée à un troisième texte qui serait porteur du sens identique supposé circuler du premier au second. La même chose dite de part et d’autre. De même que pour le Platon du Parménide, il n’y a pas de troisième homme entre l’idée de l’homme et tel homme singulier − Socrate, pour ne pas le nommer ! −, il n’y a pas non plus de tiers texte entre le texte source et le texte d’arrivée. D’où le paradoxe, avant le dilemme : une bonne traduction ne peut viser qu’à une équivalence présumée, non fondée dans une identité de sens démontrable. Une équivalence sans identité. Cette équivalence ne peut être que cherchée, travaillée, présumée. Et la seule façon de critiquer une traduction − ce qu’on peut toujours faire −, c’est d’en proposer une autre présumée, prétendue, meilleure ou différente. Et c’est d’ailleurs ce qui se passe sur le terrain des traducteurs professionnels. En ce qui concerne les grands textes de notre culture, nous vivons pour l’essentiel sur des re-traductions à leur tour remises sans fin sur le métier. C’est le cas de la Bible, c’est le cas d’Homère, de Shakespeare, de tous les écrivains cités plus haut et, pour les philosophes, de Platon jusqu’à Nietzsche et Heidegger.
Ainsi bardés de re-traductions, sommes-nous mieux armés pour résoudre le dilemme fidélité/trahison ? Nullement. Le risque dont se paie le désir de traduire, et qui fait de la rencontre de l’étranger dans sa langue une épreuve, est insurmontable. Franz Rosenzweig, que notre collègue Hans-Christoph Askani a pris pour « témoin du problème de la traduction » (c’est ainsi que je me permets de traduire le titre de son grand livre de Tübingen), a donné à cette épreuve la forme d’un paradoxe : traduire, dit-il, c’est servir deux maîtres, l’étranger dans son étrangeté, le lecteur dans son désir d’appropriation. Avant lui, Schleiermacher décomposait le paradoxe en deux phrases : « Amener le lecteur à l’auteur », « amener l’auteur au lecteur ». Je me risque, pour ma part, à appliquer à cette situation le vocabulaire freudien et à parler, outre de travail de traduction, au sens où Freud parle de travail de remémoration, de travail de deuil.
Travail de traduction, conquis sur des résistances intimes motivées par la peur, voire la haine de l’étranger, perçu comme une menace dirigée contre notre propre identité langagière. Mais travail de deuil aussi, appliqué à renoncer à l’idéal même de traduction parfaite. Cet idéal, en effet, n’a pas seulement nourri le désir de traduire et parfois le bonheur de traduire, il a fait aussi le malheur d’un Hölderlin, brisé par son ambition de fondre la poésie allemande et la poésie grecque dans une hyper-poésie où la différence des idiomes serait abolie. Et qui sait si ce n’est pas l’idéal de la traduction parfaite qui, en dernier ressort, entretient la nostalgie de la langue originaire ou la volonté de maîtrise sur le langage par le biais de la langue universelle ? Abandonner le rêve de la traduction parfaite reste l’aveu de la différence indépassable entre le propre et l’étranger. Reste l’épreuve de l’étranger.
C’est ici que je reviens à mon titre : le paradigme de la traduction.
Il me semble, en effet, que la traduction ne pose pas seulement un travail intellectuel, théorique ou pratique, mais un problème éthique. Amener le lecteur à l’auteur, amener l’auteur au lecteur, au risque de servir et de trahir deux maîtres, c’est pratiquer ce que j’aime appeler l’hospitalité langagière. C’est elle qui fait modèle pour d’autres formes d’hospitalité que je lui vois apparentée : les confessions, les religions, ne sont-elles pas comme des langues étrangères les unes aux autres, avec leur lexique, leur grammaire, leur rhétorique, leur stylistique, qu’il faut apprendre afin de les pénétrer ? Et l’hospitalité eucharistique n’est-elle pas à assumer avec les mêmes risques de traduction- trahison, mais aussi avec le même renoncement à la traduction parfaite ? Je reste sur ces analogies risquées et sur ces points d’interrogation…
– – –
The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com
Published June 7, 2021
Excerpted from Paul Ricoeur, Sur la traduction, Bayard, Paris 2004
© Bayard, 2004
From On Translation
Written in French by Paul Ricoeur
| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages
Translated into English by Eileen Brennan
SO, HOW DO THEY DO IT?
I just announced a change in direction: leaving the speculative alternatives – translatability against untranslatability – let us, I said, get to the practical alternatives – faithfulness against betrayal.
To put us on the right track for this change in direction, I should like to go back over the interpretation of the myth of Babel, which I would not like to conclude with the idea of a linguistic catastrophe inflicted on humans by a god who is jealous of their success. It is also possible to read this myth, as well as all the other commencement myths, I may add, which take irreversible situations into account, as the non-judgemental acknowledgement of an original separation. We can begin, early in Genesis, with the separation of cosmic elements which allows an order to emerge from chaos; we can continue with the loss of innocence and the expulsion from the Garden which also denotes entry into responsible adulthood, and then we can go – and we are terribly interested in this as a rereading of the myth of Babel – through the fratricide, the murder of Abel, which makes fraternity itself an ethical project and not a simple fact of nature. If one takes up this line of reading, which I share with the exegete Paul Beauchamp, the scattering and the confounding of languages, announced by the myth of Babel, are going to crown this history of the separation when they bring it to the heart of the exercise of language. This is how we are, this is how we exist, scattered and confounded, and called to what? Well … to translation! There is a post-Babel, defined by ‘the translator’s task’, to take up again the already mentioned title of Walter Benjamin’s famous essay.
To give more weight to this reading, I will recall with Umberto Eco that the narrative in Genesis 11, 1–9 is preceded by two verses numbered Genesis 10, 31–32, where the plurality of languages seems to be taken for a merely factual datum. I read these verses in Chouraki’s rough translation:This is certainly one of those occasions when, reading Ricoeur in English, we have to accept that something has been lost in translation. Thus, losing all sense of the roughness of Chouraki’s French rendition of the Hebrew Bible, we hear instead the lyrical cadences of the King James version. EB
These are the sons of Shem, after their families, after their tongues, in their lands, after their nations. These are the families of the sons of Noah, after their generations, in their nations: and by these were the nations divided in the earth after the flood.
These verses are similar in form to a census, where the simple curiosity of a benevolent glance expresses itself. Translation is definitely a task, then, not in the sense of a restricting obligation, but in the sense of the thing to be done so that human action can simply continue, to speak like Benjamin’s friend Hannah Arendt, in The Human Condition.
The narrative entitled ‘The Myth of Babel’ follows, then:
And the whole earth was of one language, and of one speech.
And it came to pass, as they journeyed from the east, that they found a plain in the land of Shinar; and they dwelt there.
And they said one to another, Go to, let us make brick, and burn them thoroughly. And they had brick for stone, and slime had they for mortar.
And they said, Go to, let us build us a city and a tower, whose top [may reach] unto heaven; and let us make us a name, lest we be scattered abroad upon the face of the whole earth.
And the LORD came down to see the city and the tower, which the children of men builded [sic].
And the LORD said, Behold, the people [is] one, and they have all one language; and this they begin to do: and now nothing will be restrained from them, which they have imagined to do.
Go to, let us go down, and there confound their language, that they may not understand one another’s speech.
So the LORD scattered them abroad from thence upon the face of all the earth: and they left off to build the city.
Therefore is the name of it called Babel: because the LORD did there confound the language of all the earth: and from thence did the LORD scatter them abroad upon the face of all the earth.
These [are] the generations of Shem: Shem [was] a hundred years old, and begat Arphaxad two years after the flood:
And Shem lived after he begat Arphaxad five hundred years, and begat sons and daughters.This again is the King James version.
You heard: there is no recrimination, no lamentation, no accusation: ‘So the LORD scattered them abroad from thence upon the face of all the earth: and they left off to build the city.’ They left off building the city! That is a way of saying: this is the way things are. Well, well! This is the way things are, as Benjamin liked to say. Starting from this fact of life, let us translate!
To speak accurately about the task of translating, I would like to mention, following Antoine Berman in The Test of the Foreign, the desire to translate. This desire goes beyond constraint and usefulness. There is certainly a constraint: if we want to tradeThe original French text reads as follows: si on veut commencer, voyager, négocier, voire espionner il faut bien disposer de messagers qui parlent la langue des autres. As the word commencer, meaning ‘to begin’, makes little sense in this context, I assume that this is a typesetting error and that the correct word is commercer, meaning ‘to trade’. EB, to travel, to negotiate, indeed to spy we definitely have to have messengers who speak the language of others. As for usefulness, it is patently obvious. If we want to save ourselves the bother of learning foreign languages, we will be very pleased to come across translations. After all, this is how we have had access to the tragic writers, to Plato, to Shakespeare, Cervantes, Petrarch and Dante, Goethe and Schiller, Tolstoy and Dostoyevsky. Constraint, usefulness, so be it! But more tenacious, more profound, more hidden than that there is: the desire to translate.
It is this desire that has driven the German thinkers since Goethe, the great classicist, and von Humboldt, whom I have already mentioned, through the Romantics, Novalis, the Schlegel brothers, Schleiermacher (the translator of Plato, we must not forget that), even Hölderlin, the tragic translator of Sophocles, and finally Walter Benjamin, Hölderlin’s heir. And at the stern of this fine crew, Luther, the translator of the Bible – Luther and his will to ‘germanize’ the Bible, held captive by St Jerome’s Latin.
What did these people with a passion for translation expect from their desire? What one of them called the broadening of the horizon of their own language – together with what they have all called formation, Bildung, that is to say, both configuration and education, and as a bonus, if I may put it that way, the discovery of their own language and of its resources which have been left to lie fallow. The following line is Hölderlin’s: ‘What is one’s own must be learned as well as what is foreign.’ For goodness’ sake, why does this desire to translate have to be fobbed off with the prize of a dilemma, the faithfulness/betrayal dilemma? Because there is no absolute criterion for good translation; for such a criterion to be available, we would have to be able to compare the source and target texts with a third text which would bear the identical meaning that is supposed to be passed from the first to the second. The same thing said on both sides. As was the case for the Plato of the Parmenides, there is no third man between the idea of man and such-and-such a specific man – Socrates, so as not to name him! – nor is there a third text between the source text and the target text. Hence the paradox, before the dilemma: a good translation can aim only at a supposed equivalence that is not founded on a demonstrable identity of meaning. An equivalence without identity. This equivalence can only be sought, worked at, supposed. And the only way of criticizing a translation – something we can always do – is to suggest another supposed, alleged, better or different one. And this, moreover, is what happens in the world of professional translators. As far as the great texts of our culture are concerned, we essentially live on a few retranslations which are reworked over and over again. This is what happens with the Bible, with Homer, with Shakespeare, with all the writers cited above and with the philosophers, from Plato to Nietzsche and Heidegger.
Thus barded with retranslations, are we better armed for solving the faithfulness/betrayal dilemma? Not at all. The risk which the desire to translate is owed [se paie], and which transforms the encounter with the foreign in its language into a test, is insuperable. Franz Rosenzweig, whom our colleague Hans-Christoph Askani took as ‘a witness to the problem of translation’ (this is how I venture to translate the title of his great Tubingen book), gave this test the form of a paradox: to translate, he says, is to serve two masters, the foreigner in his strangeness, the reader in his desire for appropriation. Before him, Schleiermacher broke the paradox up into two phrases: ‘bringing the reader to the author’, ‘bringing the author to the reader’. For my part, I venture to apply the Freudian vocabulary to that situation and to talk, not only about the work of translation, but also about the work of recollection and the work of mourning, as Freud does.
The work of translation, won on the battlefield of a secret resistance motivated by fear, indeed by hatred of the foreign, perceived as a threat against our own linguistic identity. But the work of mourning too, applied to renouncing the very ideal of the perfect translation. Indeed, this ideal has not only nurtured the desire to translate and, occasionally, the happiness of translating, it has also brought sorrow to a Hölderlin, broken by his ambition to found German and Greek poetry on a hyper-poetry where the difference in idioms would be abolished. And who knows whether it is not the ideal of the perfect translation which definitively maintains the nostalgia for the original language or the will for control over language by means of the universal language? Giving up the dream of the perfect translation is still the acknowledgement of the impassable difference between the peculiar and the foreign. It is still the test of the foreign.
It is here that I return to my title: the paradigm of translation.
Indeed, it seems to me that translation sets us not only intellectual work, theoretical or practical, but also an ethical problem. Bringing the reader to the author, bringing the author to the reader, at the risk of serving and of betraying two masters: this is to practise what I like to call linguistic hospitality. It is this which serves as a model for other forms of hospitality that I think resemble it: confessions, religions, are they not like languages that are foreign to one another, with their lexicon, their grammar, their rhetoric, their stylistics which we must learn in order to make our way into them? And is eucharistic hospitality not to be taken up with the same risks of translation-betrayal, but also with the same renunciation of the perfect translation? I retain these risky analogies and these question marks…
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The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com
Published June 7, 2021
Excerpted from Paul Ricoeur, On Translation, Routledge, 2004
© Routledge 2004
From La traduzione. Una sfida etica
Written in French by Paul Ricoeur
| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages
Translated into Italian by Ilario Bertoletti e Mara Gasbarrone
Allora come fanno?
Ho annunciato poco fa un cambiamento di direzione: abbandonando l’alternativa speculativa − traducibilità contro intraducibilità − entriamo, dicevo, nell’alternativa pratica fedeltà versus tradimento.
Per avviarci a questa svolta, vorrei tornare sull’interpretazione del mito di Babele, per non ridurlo all’idea di catastrofe linguistica inflitta agli esseri umani da un dio geloso del loro successo. Si può anche leggere questo mito − come d’altra parte tutti gli altri miti di inizio che registrano situazioni irreversibili − come la constatazione senza condanna di una separazione originaria. Si può cominciare, all’inizio della Genesi, con la separazione degli elementi cosmici che consente a un ordine di emergere dal caos, si può continuare con la perdita dell’innocenza e la cacciata dal giardino, che segna anche l’ingresso nell’età adulta e responsabile, e passare poi − e questo ci interessa terribilmente per una rilettura del mito di Babele − attraverso il fratricidio, l’uccisione di Abele, che fa della fraternità stessa un progetto etico e non più un semplice dato di natura. Se si adotta questa linea di lettura, da me condivisa con l’esegeta Paul Beauchamp, la dispersione e la confusione delle lingue, annunciate dal mito di Babele, vengono a coronare questa storia di separazione, portandola al cuore dell’esercizio del linguaggio. Così noi siamo, così noi esistiamo, dispersi e confusi, e chiamati a cosa? Ebbene… alla traduzione! C’è un dopo-Babele, definito dal «compito del traduttore», per riprendere il titolo già evocato dal celebre saggio di Walter Benjamin.
Per dare più forza a questa lettura, ricorderò con Umberto Eco che il racconto di Genesi 11 è preceduto dai due versetti − numerati Genesi 10, 31-32 − in cui la pluralità delle lingue sembra assunta come un dato puramente fattuale. Leggo questi versetti nella scabra (rugueuse) traduzione di Chouraki.
« Voici les fils de Shem pour leur clan, pour leur langue, dans leur terre, pour leur peuple.
Voilà les clans des fils de Noah, pour leur geste, dans leur peuple : de ceux-là se scindent les peuples sur terre après le Déluge ».
«Ecco i figli di Sem, secondo il loro clan e la loro lingua, nella loro terra, secondo il loro popolo. Ecco i clan dei figli di Noè, secondo la loro progenie, nel loro popolo: da questi si scindono i popoli sulla terra dopo il Diluvio».Abbiamo cercato di ricalcare in italiano la traduzione di Chouraki, pur consultando quella ufficiale della Cei, per non perdere quel carattere asciutto e rugoso che la fa preferire a Ricoeur (N.d.T.).
Questi versetti hanno il tono delle enumerazioni, in cui si esprime la semplice curiosità di uno sguardo benevolo. La traduzione è veramente allora un compito, non nel senso di un’obbligazione costrittiva, ma nel senso della cosa da fare perché l’azione umana possa semplicemente continuare, per parlare come Hannah Arendt, l’amica di Benjamin, in Vita activa.
Segue quindi il racconto intitolato «Mito di Babele» (Gn 11,1-11):
« Et c’est toute la terre : une seule lèvre, d’unique parole.
Et c’est là leur départ d’Orient : ils trouvent un canyon en terre de Shinéar, ils s’y établissent.
Ils disent, chacun à son semblable : allons, briquettons des briques, flambons-les à la flambée. Et la brique devient pour eux pierre, le bitume, mortier.
Ils disent, allons, bâtissons-nous une ville et une tour. Sa tête : aux cieux. Faisons-nous une ville et une tour. Sa tête aux cieux. Faisons-nous un nom, que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre.
Yaveh descend pour voir la ville et la tour qu’ont bâties les fils de l’homme.
Yaveh dit : oui, un seul peuple, une seule lèvre pour tous : voilà ce qu’ils commencent à faire ! Maintenant rien n’empêchera tout ce qu’ils auront dessein de faire !
Allons ! Descendons ! Confondons là leurs lèvres, l’homme n’entendra plus la lèvre de son prochain.
Yaveh les disperse de là sur la face de toute la terre. Ils cessent de bâtir la ville.
Sur quoi il clame son nom : Bavel, Confusion car là confond la lèvre de toute la terre et de là Yahvé les disperse sur la face de toute la terre.
Voici le geste de Shem, Shem, âgé de cent ans, engendre Arpakhshad, deux ans après le déluge.
Shem vit, après l’engendrement d’Arpakhshad, cinq cents ans. Il engendre des fils et des filles ».
«E tutta la terra è un solo labbro, un’unica parola.
Ecco, essi partono dall’Oriente, trovano un canyon in terra di Sennaar e vi si stabiliscono.
E dicono ciascuno al suo simile: orsù, fabbrichiamo dei mattoni, cuociamoli alla fiamma. E i mattoni diventano per loro pietra, e il bitume cemento.
Dicono, orsù, costruiamo una città e una torre. La sua cima fino al cielo. Facciamoci un nome, che noi non siamo dispersi sulla faccia di tutta la terra.
JHWH scende per vedere la città e la torre che hanno costruito i figli dell’uomo.
JHWH dice: sii un solo popolo, un solo labbro per tutti: ecco ciò che essi cominciano a fare! Adesso niente impedirà tutto ciò che essi hanno disegnato di fare.
Orsù! Scendiamo! Confondiamo là le loro labbra, l’uomo non intenderà più il labbro del suo vicino.
JHWH li disperde di là sulla faccia di tutta la terra. Essi smettono di costruire la città.
Da ciò essa prende il suo nome: Babele Confusione, perché là confonde le labbra di tutta la terra e di lì JHWH li disperde sulla faccia di tutta la terra.
Ed ecco la progenie di Sem, Sem, a cento anni, genera Arpacsad, due anni dopo il diluvio.
Sem vive dopo aver generato Arpacsad cinquecento anni, egli genera figli e figlie».
Non v’è qui nessuna recriminazione, nessuna deplorazione, nessuna accusa: «JHWH li disperde da lì sulla faccia di tutta la terra. Essi smettono di costruire». Essi smettono di costruire! Come dire: è così. Ecco, è così, come amava dire Benjamin. A partire da questa realtà della vita, traduciamo!
Per parlare in modo adeguato del compito di tradurre, vorrei accennare, con Antoine Berman in L’épreuve de l’étranger, al desiderio di tradurre. Questo desiderio porta al di là della costrizione e dell’utilità. Certamente esiste una costrizione: se si vuole commerciare, viaggiare, negoziare, al limite spiare, bisogna disporre di messaggeri che parlino la lingua degli altri. Quanto all’utilità, essa è evidente. Se ci si vuole risparmiare la fatica di studiare le lingue, si è ben felici di trovare delle traduzioni. Dopo tutto, è in questo modo che tutti abbiamo avuto la possibilità di conoscere le tragedie greche, Platone, Shakespeare, Cervantes, Dante e Petrarca, Goethe e Schiller, Tolstoj e Dostoevskij. Costrizione, utilità, e sia! Ma c’è qualcosa di più tenace, di più profondo, di più nascosto: il desiderio di tradurre.
È il desiderio che ha animato i pensatori tedeschi dopo Goethe, il grande classico, e il già nominato von Humboldt, passando per i romantici Novalis, i fratelli Schlegel, Schleiermacher (traduttore di Platone, non bisogna dimenticarlo) fino a Hölderlin, il traduttore tragico di Sofocle, e infine Walter Benjamin, l’erede di Hölderlin. E ancor prima di quel gran mondo, Lutero, traduttore della Bibbia, Lutero e la sua volontà di «germanizzare» la Bibbia, tenuta in ostaggio dal latino di San Girolamo.
Che cosa si aspettavano dal loro desiderio questi appassionati della traduzione? Ebbene, ciò che uno di loro ha chiamato l’allargamento dell’orizzonte della propria lingua, e ancora ciò che tutti hanno chiamato formazione, Bildung, (configurazione ed educazione), e in primo luogo, oserei dire, la scoperta della propria lingua e delle sue risorse lasciate inoperanti. Le parole che seguono sono di Hölderlin: «Quanto ci appartiene deve essere appreso allo stesso modo di quanto ci è estraneo». Ma allora, perché questo desiderio di tradurre deve essere pagato al prezzo di un dilemma, il dilemma fedeltà/tradimento? Perché non esiste un criterio assoluto della buona traduzione; un simile criterio sarebbe disponibile se si potesse paragonare il testo di partenza e il testo di arrivo ad un terzo testo, portatore dell’identico senso che si presume circoli dal primo al secondo. La stessa cosa detta dall’una e dall’altra parte. Come per il Platone del Parmenide, non c’è un terzo uomo tra l’Idea dell’uomo e un dato uomo particolare − Socrate, tanto per non far nomi −, così non vi è nemmeno un terzo testo tra il testo di partenza e il testo di arrivo. Da qui il paradosso, prima ancora del dilemma: una buona traduzione può tendere solo ad una presunta equivalenza, non fondata su una identità di senso dimostrabile. Una equivalenza senza identità. Tale equivalenza può essere solo ricercata, elaborata, presunta. E l’unico modo di criticare una traduzione − si può sempre farlo – è proporne un’altra presunta, ritenuta migliore o differente. È d’altra parte quanto accade nel campo dei traduttori professionisti. E per i grandi testi della nostra cultura, ci basiamo essenzialmente sulle ri-traduzioni, a loro volta messe a punto senza fine dagli esperti, come è il caso della Bibbia, di Omero, di Shakespeare, di tutti gli scrittori già citati e − fra i filosofi − di Platone, fino a Nietzsche e Heidegger.
Corazzati così di ri-traduzioni, siamo meglio attrezzati per risolvere il dilemma fedeltà/tradimento? Per nulla. Il rischio con il quale deve fare i conti il desiderio di tradurre — e che rende una sfida l’incontro con lo straniero nell’ambito della propria lingua — è davvero insuperabile. Franz Rosenzweig − che il nostro collega Hans-Christoph Askani ha assunto a «testimone del problema della traduzione» (così mi permetto di tradurre il titolo del suo grande libroCfr. “Das Problem der Übersetzung dargestellt am Franz Rosenzweig: die Methoden und Prinzipien der Rosenzweigschen und Buber Rosenzweigschen Übersetzung”, J.C. Möhr, Tübingen 1997.) − ha dato a questa sfida la forma di un paradosso: tradurre − egli dice − è servire due padroni, lo straniero nella sua estraneità e il lettore nel suo desiderio di appropriazione. Prima di lui, Schleiermacher scomponeva il paradosso in due frasi: «portare il lettore all’autore», «portare l’autore al lettore». Mi arrischio, da parte mia, ad applicare a questa situazione il vocabolario freudiano e a parlare − oltre che di lavoro della traduzione − di lavoro del lutto, nel senso in cui Freud parla di lavoro di rimemorazione.
Lavoro di traduzione, dopo aver vinto le resistenze intime motivate dalla paura, al limite dall’odio per lo straniero, percepito come una minaccia diretta contro la nostra stessa identità linguistica. Ma anche lavoro del lutto, applicato alla rinuncia all’ideale stesso di traduzione perfetta. Quest’ideale, in effetti, non ha soltanto nutrito il desiderio di tradurre e talvolta la felicità del tradurre, è stato anche la causa dell’infelicità di Hölderlin, spezzato dall’ambizione di fondere la poesia tedesca e la poesia greca in una iper-poesia nella quale sarebbe stata abolita la differenza degli idiomi. E chissà se non è proprio l’ideale della traduzione perfetta a far sopravvivere, in ultima analisi, la nostalgia della lingua originaria o la volontà di controllo sul linguaggio tramite l’espediente della lingua universale? L’abbandono del sogno della traduzione perfetta resta l’ammissione dell’insuperabile differenza tra il «proprio» e lo straniero. Resta la sfida dello straniero.
E torno qui al mio titolo: il paradigma della traduzione. Mi sembra, in effetti, che la traduzione non richieda soltanto un lavoro intellettuale, teorico e pratico, ma ponga anche un problema etico. Portare il lettore all’autore, portare l’autore al lettore, con il rischio di servire e di tradire due padroni, è praticare ciò che mi piace chiamare l’ospitalità linguistica. Essa costituisce il modello di altre forme di ospitalità che mi sembrano appartenere alla stessa famiglia: le diverse confessioni, le religioni, non sono forse come delle lingue straniere le une alle altre, ciascuna con il suo vocabolario, la sua grammatica, la sua retorica, la sua stilistica, che occorre studiare per poterle comprendere dall’interno? E l’ospitalità eucaristica, non va assunta anch’essa con gli stessi rischi di traduzione-tradimento, ma anche con la stessa rinuncia all’ideale di traduzione perfetta? Insisto su queste rischiose analogie e su questi interrogativi…
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The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com
Published June 7, 2021
Excerpted from Paul Ricoeur, La traduzione. Una sfida etica, Morcelliana, Brescia 2001
© Morcelliana, 2001
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