Lorsqu’il s’agit de faire une table, Robinson Crusoé est un novice, un débutant. Il n’a jamais fait de table auparavant, contrairement à d’autres. Il a la chance d’avoir un modèle en tête : ce savoir incarné l’accompagne, comme les nombreux objets qu’il a sauvés du naufrage (les outils, les graines, la poudre à canon et les pistolets). Il sait ce qu’est une table : il en a déjà vues et utilisées par le passé, à York, en Angleterre. Comme le traducteur, il ne s’est pas fixé pour tâche de faire quelque chose d’entièrement original, qui serait sans précédent, sans point de référence ou de comparaison. Quelle que soit la forme que prendra finalement cette table, elle ne sera pas une invention.

Ce qui est, je m’en rends compte, une évidence absolue. Mais c’est aussi la clé, je crois, pour comprendre ce qu’il y a de vraiment singulier dans l’écriture d’une traduction : « Substitut temporaire ou permanent de la création, la traduction est étroitement liée à la création, et pourtant elle est de nature différente : c’est une inspiration artificielle »Simon Leys, « L’expérience de la traduction littéraire : quelques observations », Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992, p.7, réédité dans Le Studio de l’inutilité, Flammarion, 2012. Traduit par Dan Gunn dans The Cahier Series no. 9, Sylph Editions 2008 : Simon Leys, Notes from the Hall of Uselessness, p.30., écrit Simon Leys, dans un essai traduit par Dan Gunn en anglais. Il continue : « On peut se mettre à sa table chaque matin à la même heure, on est assuré d’accoucher de quelque chose. Bien sûr, la qualité et la quantité de la production quotidienne pourront varier, mais le cauchemar de la page blanche est, lui, définitivement exorcisé. Du reste, c’est précisément cette rassurante garantie qui fondamentalement fait relever la traduction du domaine de l’artisanat plutôt que de celui de l’art. Si difficile que la traduction puisse parfois être, à l’inverse de la création, elle est fondamentalement sans risque. »Simon Leys, op. cit.

Lorsqu’il s’agit de traduire, ce qui fait la singularité de cet acte et le rend particulièrement digne d’intérêt, c’est qu’il n’est jamais question de ce que l’on va écrire (on ne se demande pas s’il y aura, aujourd’hui, quelque chose à écrire ou pas) parce que l’œuvre a déjà été écrite. Ce qui importe, c’est comment on la réécrit.

Il vous suffit d’inventer quelque chose. C’est ce que Barthes a dit à Richard Howard. Faites ce que vous voulez.

Vraiment ? En ai-je le droit ? Je me suis souvent posé la question. Et j’en ai souvent eu envie. Mais j’ai toujours fini par penser que si j’en venais à inventer quelque chose, si j’en venais à faire ce que je voulais, je passerais peut-être à côté des enjeux de l’écriture d’une traduction. Autrement dit, si j’inventais quelque chose (quoi que ce soit), si je faisais vraiment ce que je voulais, est-ce que je ne serais pas déjà en train d’écrire autre chose ? Bien sûr, rien ne pourrait m’empêcher de déclarer a posteriori que cette chose inventée, ou extrapolée, ou dérivée de quelque façon que ce soit, est une traduction – avec tout le pouvoir performatif que comporte la déclaration « ceci est une traduction ». Et je n’ai pas l’intention d’interdire à qui que ce soit de nommer les choses, de même que je ne veux limiter l’extension de ce qu’on peut inclure dans la catégorie-genre de la traduction. Mais face à moi-même, je ne peux m’empêcher de revenir à cette conclusion : ce qui m’intéresse, ce sont les contraintes qui définissent jusqu’où je peux aller, les limites de ce que je peux inventer (parce que c’est aussi cela que la traduction implique, bien sûr : inventer quelque chose, recréer), et ce qui me retient de faire ce que je veux. Si j’en crois mon expérience, ce sont ces limites qui font de la traduction une pratique particulière, difficile, et intéressante. Elles m’intéressent parce qu’elles m’apprennent quelque chose, et me conduisent (ou me poussent ?) au-delà de ce que je serais peut-être déjà capable d’écrire, de penser, de connaître et d’imaginer. Je n’ai pas envie de simplement inventer quelque chose. Ou peut-être ailleurs, une autre fois. Mais alors je crois que j’appellerai ça autrement.

Dans un entretien, Dan Gunn invite Lydia Davis à réfléchir à la position de Leys. Êtes-vous d’accord avec lui ?, demande-t-il. Quand vous vous installez à votre table de travail pour écrire une de vos nouvelles ou pour « traduire » un autre chapitre de Bob, Son of Battle (un roman pour enfants publié pour la première fois par Alfred Olivant en 1898, dont Davis voulait « convertir le dialecte de Cumbria et le dialecte écossais, omniprésents, dans un anglais standard et clair, et modifier les passages narratifs pour en rendre la prose moins difficile »), est-ce que, fondamentalement, vous sentez une différence ? Oui, répond Davis, « mais j’hésite un tout petit peu à éliminer l’idée de l’art dans la traduction, ou à définir le traducteur comme quelqu’un qui maîtrise une technique, un artisan plutôt qu’un artiste. Je dis bien que c’est une hésitation et non pas un refus catégorique car, en général, j’ai une réaction ambivalente à la question de savoir exactement ce qu’est un traducteur : j’ai d’abord envie de dire que le traducteur est un artisan hautement qualifié plutôt qu’un artiste, mais j’y réfléchis tout de suite à deux fois, car j’ai l’impression qu’il y a des moments où la traduction relève véritablement d’une pratique artistique. »

Il vaut la peine de rappeler que pour Leys la question du risque n’est pas liée à l’événement de la traduction — et donc à la question de savoir si une traduction est bonne ou mauvaise, ou à l’influence qu’elle aura sur le monde — mais plutôt à l’expérience qui consiste à écrire quelque chose pour la première fois (à faire quelque chose qui n’avait encore jamais été fait). 

Davis ajoute : « Pour revenir à votre question, il est vrai que le travail à faire est déjà là, devant moi, quand je m’assieds à mon bureau pour traduire, et le risque que cela implique n’est pas le même lorsque je crée une histoire ; et oui, je ne ressens pas la même chose lorsque je m’apprête à traduire – que ce soit du français ou du néerlandais, ou qu’il s’agisse de Bob, Son of Battle – et lorsque je m’assieds pour travailler à une de mes propres nouvelles. »

La distinction est certes provisoire et incertaine (la suite de l’entretien confirme cet aspect, quand l’auteure évoque par exemple des écrits retrouvés de Flaubert, qui deviendront des nouvelles inédites dans son recueil Can’t and Won’t), pourtant Davis insiste sur la possibilité de la faire. Ces deux activités sont proches (elles sont même très étroitement liées), mais elles n’en sont pas moins différentes. 

Cette idée m’inspire plusieurs objections. La première pourrait se formuler ainsi : d’accord, mais attention. Regardez tous les textes écrits à partir de matériaux existants, qui revendiquent le statut d’œuvres nouvelles et qui fonctionnent effectivement comme telles.

Je pourrais ensuite m’interroger à voix haute : qui a dit que la page blanche n’est jamais blanche, qu’elle est en réalité couverte de citations d’œuvres passées ?

Je pourrais aussi imaginer une objection qui commencerait par cette question : dans n’importe quel projet d’écriture, ne travaille-t-on pas avec des règles et des paramètres existants qui guident et, dans une certaine mesure, dictent ce qu’il est possible d’écrire ? N’est-ce pas là, d’une certaine façon, la leçon de l’Oulipo ? L’Ouvroir de littérature potentielle dont les membres, entre autres Georges Perec, Harry Matthews et Italo Calvino, étaient également fascinés par l’exercice de la traduction. En ce sens, n’importe quel texte serait déterminé à un degré plus ou moins grand par des contraintes : les protocoles de nos genres littéraires (les dix-sept syllabes d’un haïku, les conventions rhétoriques d’un essai universitaire, la brièveté d’une nouvelle), ainsi que par les règles opératoires de la langue dans laquelle il est écrit. Pour faire exister ce point de vue, le projet de l’Oulipo a été d’écrire à partir de nouvelles contraintes ou en réactualisant des contraintes anciennes et oubliées (le lipogramme par exemple, exercice qui a donné La Disparition, le célèbre roman de Perec écrit sans la lettre e). Il est particulièrement intéressant d’écrire des traductions car la traduction est tout particulièrement contrainte : suivant ce raisonnement, la traduction pourrait même servir de cas-limite et d’éclairage pour toutes sortes de tentatives littéraires prétendument libres et spontanées.

Oui mais… Un instant. Si l’on dit tout cela, je crois qu’on passe trop rapidement sur ce qui est vraiment singulier dans le projet d’une traduction. Ce serait aller trop vite.

Comme le souligne Davis, ces activités ne sont pas simplement les mêmes.

Car le texte-à-traduire dit : viens là. Il nous invite : viens là, détourne-toi de ta page blanche, de ce que tu as à exprimer, de tes efforts pour créer quelque chose de nouveau et d’unique. Viens là, assieds-toi et concentre un moment ton attention sur le travail de quelqu’un d’autre, et voyons ce que cela fait. (« Une des manières de contourner les limites de son « identité » quand on produit une prose explicative », écrit Spivak, « est de travailler à l’œuvre d’un autre, comme l’on travaillerait avec une langue qui appartient à beaucoup d’autres. C’est là, après tout, un des attraits de la traduction. »)

Est-ce qu’il vaut la peine de se demander si une telle démarche – travailler à l’œuvre d’un autre – fait du traducteur un artisan plutôt qu’un artiste ? Je ne crois pas, non. Cela ne m’intéresse pas de penser la conception d’une œuvre uniquement en termes de première fois, de nouveauté et d’invention. En revanche, cela m’intéresse de pousser un peu plus loin notre compréhension de l’artisanat, en particulier dans son rapport à la question du risque.

Dans son récent livre Les Argonautes, Maggie Nelson décrit une de ces après-midi nombreuses et interchangeables passées à s’occuper de son très jeune fils, où elle l’observait pendant qu’il jouait à quatre pattes dans leur jardin, en se demandant vers « quelle feuille de chêne flétrie il irait ramper comme un soldat entêté ». Elle l’observait, discrètement vigilante, prête à bondir à n’importe quel moment, si nécessaire, pour « cueillir la feuille de sa bouche ». Cette scène incite Nelson à une adresse directe : « Toi, lecteur », écrit-elle, « tu es aujourd’hui vivant, tu lis ces lignes parce qu’un jour quelqu’un a surveillé ta bouche lors de ses tentatives d’exploration. »

Ce qui est vrai. Mais on ne devrait pas pour autant, comme Nelson le souligne ensuite, être particulièrement reconnaissant pour cela. En effet, quelqu’un, qui en l’occurrence était ma mère (mais qui aurait tout aussi bien pu être quelqu’un d’autre), a surveillé ma bouche lors de ses tentatives d’exploration. Nelson écrit : « Winnicott défend la position relativement dénuée de sentiments selon laquelle nous ne devons rien à ces gens-là (qui sont souvent, mais pas toujours, des femmes). Nous nous devons cependant à nous-mêmes “la reconnaissance intellectuelle du fait que nous étions (psychologiquement) absolument dépendants, et qu’absolument signifie absolument. Heureusement, nous avons fait l’objet d’un dévouement ordinaire.” »

Quand mon fils cadet était bébé, j’ai fait un rêve vivace, en Technicolor, où je le voyais en train de s’étouffer. Suite à cela, mon attention quotidienne s’est transformée en une veille nerveuse (voire paranoïaque). Je lui tendais un morceau moelleux de poire mûre à l’heure du déjeuner et je le regardais le manœuvrer avec envie, tentant de le faire entrer dans sa bouche. Et je doutais soudain de la taille et de la consistance du morceau et, à son grand désarroi, je lui retirais (Pardon, pardon, pardon ! Ne pleure pas, laisse-moi le découper ! Je vais l’écraser !).

Rétrospectivement, je crois que ce qui me troublait le plus était l’idée (l’idée mais aussi le fait) que le plus petit moment d’inattention, y compris (y compris et en particulier) en ce qui concerne les choses les plus ordinaires du quotidien – manger une poire pour le déjeuner, s’asseoir au milieu des feuilles mortes dans le jardin – pouvait avoir des conséquences à une toute autre échelle, celle de la vie et de la mort. Partout et pendant tout cette période, le danger me semblait presqu’insupportablement élevé.

L’analogie que je suis en passe de proposer ne convient pas tout à fait (ou même pas du tout). Je l’avance néanmoins, en forçant un peu. D’abord parce que dans ma propre vie, pendant un temps, surveiller la bouche aventureuse de mon fils a coïncidé avec l’écriture des traductions de Barthes. Mais également pour la raison plus réfléchie que ce sens aigu du risque – un risque à la fois banal et quotidien, mais aussi présent à chaque instant – dit quelque chose de ce qui se joue dans le projet d’écrire une traduction, en particulier quand on se dit que traduire, c’est faire un tout.

Quando Robinson Crusoe decide di fabbricarsi un tavolo è un neofita, un principiante. Non ne ha mai costruito uno, ma molti altri lo hanno fatto prima di lui. È fortunato perché ha un modello in mente e il sapere che ha interiorizzato, oltre alle varie cose che ha recuperato dalla nave (attrezzi, viveri, polvere da sparo, armi). Sa esattamente cos’è un tavolo, ne ha visti e usati diversi quando era a York, in Inghilterra. Come il traduttore, non deve affrontare la sfida – o perlomeno non se l’è imposta – di creare qualcosa di completamente originale, nel senso di qualcosa senza precedenti, senza riferimenti o modelli di paragone. In qualunque modo lo costruisca, il suo tavolo non sarà un’invenzione.

Questo punto è del tutto ovvio, me ne rendo conto. Ma è anche la chiave di uno degli aspetti più interessanti e specifici della scrittura di una traduzione: ‘Come sostituto temporaneo o permanente della creazione’ scrive Simon Leys in un saggio tradotto da Dan Gunn, ‘la traduzione è strettamente associata alla creazione, ma è di natura diversa, perché offre un’ispirazione artificiale.’ E prosegue: ‘Ci si può sedere alla scrivania ogni mattina alla stessa ora, sicuri di partorire qualcosa. Certo, la qualità e la quantità della produzione quotidiana possono variare, ma l’incubo della pagina bianca è di per sé definitivamente esorcizzato. Questo aspetto rappresenta una garanzia molto rassicurante, che pone il tradurre nella sfera dell’artigianato più che in quella dell’arte. Per quanto difficile possa essere, una traduzione, essendo distinta dalla creazione, è essenzialmente priva di rischi.’

Quando si parla di traduzione, e di cosa è specifico e di conseguenza specificatamente interessante nella traduzione, non è mai questione di cosa scrivere (e quindi, se quel giorno ci sarà o meno qualcosa da scrivere) perché l’opera è già stata scritta. Quel che conta è come riscriverla.

Inventa, aveva detto Barthes a Richard Howard. Fai quello che vuoi.

Davvero posso fare quello che voglio? Me lo sono chiesta spesso. E avrei voluto. Ma poi tornavo di continuo su un pensiero: se dovessi semplicemente inventarmi qualcosa, se potessi fare quello che voglio, non andrei ben al di là dello scrivere una traduzione? In altre parole: inventare (qualsiasi cosa), fare quello che voglio, non significherebbe scrivere qualcos’altro? Ovviamente nulla può impedirmi di dichiarare a posteriori che quello che ho inventato, estrapolato o derivato in maniera diversa è una traduzione, con tutto il potere performativo insito nel dichiarare questa è una traduzione. E non ho intenzione di regolamentare o limitare il potere altrui di indicare cosa può essere incluso nella categoria-genere della traduzione. Ma tra me e me continuo evidentemente a tornare allo stesso pensiero: i confini entro cui posso muovermi, i limiti di ciò che posso ricreare (perché ovviamente la traduzione implica anche questo: creare qualcosa, creare di nuovo quella cosa), i limiti al fare quello che voglio, sono proprio quello che mi interessa. Sono quello che nella mia esperienza rende la pratica della traduzione specifica e difficile e interessante. Mi interessa perché mi da delle istruzioni, conducendomi (costringendomi?) ad allontanarmi da ciò che potrei essere già in grado di scrivere, pensare, sapere e immaginare. Non voglio limitarmi a inventare qualcosa. O forse in un’altra occasione e in un altro momento lo farò, ma probabilmente lo chiamerò in un altro modo. 

In un’intervista con Lydia Davis, Dan Gunn la invita a riflettere sulla posizione di Ley. È d’accordo? le chiede. Si sente sostanzialmente diversa quando si siede alla scrivania a scrivere un racconto, rispetto a quando si mette a “tradurre” un nuovo capito di Bob, Son of Battle (un romanzo per ragazzi pubblicato per la prima volta nel 1898 da Alfred Olivant, in cui il progetto della Davis era ‘convertire il dialetto scozzese e della Cumbria – molto presenti nel libro – in un inglese chiaro e standard, e manipolare qua e là la narrazione per rendere la prosa meno oscura.’) Sì, dice Davis, ‘ma esito un poco a eliminare l’idea dell’arte dalla traduzione, a definire il traduttore un artigiano più che un artista. Dico esitazione e non rifiuto categorico, perché in genere ho una reazione ambivalente alla domanda su cos’è di preciso un traduttore: d’istinto vorrei dire che è un artigiano più qualificato rispetto all’artista, ma subito dopo ci ripenso e ho la sensazione che in certi momenti la traduzione sia davvero arte.’

Vale la pena notare che per Leys, la questione del rischio è collegata non tanto all’evento della traduzione – e quindi al suo essere buona o meno, o al ruolo che avrà nel mondo – ma piuttosto all’esperienza di scrivere qualcosa per la prima volta (di creare qualcosa che ancora non è stato fatto).

Davis prosegue: ‘Per tornare alla sua domanda – è vero che quando mi metto alla scrivania a tradurre il lavoro da fare è già davanti a me e non implica lo stesso rischio di quando scrivo qualcosa di mio; e sì, mi sento diversa quando mi metto a tradurre, che sia dal francese, dall’olandese o da Bob, Son of Battle – rispetto a quando mi metto a scrivere un mio racconto.’

Per quanto la distinzione possa essere considerata provvisoria e smontabile – e infatti si rivela tale nel corso dell’intervista (per esempio quando parla delle sue traduzioni del materiale di Flaubert “ritrovato” che compaiono nella raccolta Can’t and Won’t), Davis insiste sulla possibilità di fare una distinzione. Le due attività sono collegate, strettamente associate, ma semplicemente non sono la stessa cosa. 

Mi vengono in mente varie reazioni ovvie alla questione. Forse la prima potrebbe essere: sì, ma consideriamo tutto. Tutta la produzione scritta che viene creata a partire da materiale preesistente che poi rivendica lo status di opera d’arte originale e di fatto si comporta come tale. 

E poi mi viene da chiedermi: chi ha detto che la pagina bianca non è mai bianca, ma sempre piena di citazioni tratte da opere preesistenti?

Poi immagino un’altra obiezione, a partire dalla seguente domanda: qualsiasi progetto di scrittura non ha forse a che fare con il rispetto di convenzioni e parametri che guidano e in un certo senso indicano ciò che è possibile scrivere? E non è questa, a modo suo, la lezione dell’Oulipo? L’Ouvroir de littérature potentielle, l’officina di letteratura potenziale, i cui membri, tra cui spiccavano Georges Perec, Harry Mathews e Italo Calvino, erano anche appassionati scrittori di traduzioni. L’idea di base è che ogni genere di scrittura viene più o meno determinata da limitazioni: i protocolli dei generi letterari (le diciassette sillabe dell’haiku; le convenzioni retoriche del saggio accademico; la brevità del racconto) e le regole operative della lingua. Partendo da questa idea, il progetto dell’Oulipo consisteva nell’inventare e scrivere testi basati su nuovi limiti, anche recuperandone di antichi e dimenticati (per esempio il lipogramma, l’esercizio di scrittura che ha prodotto La Disparition, La scomparsa, il famoso romanzo di Perec da cui è assente la lettera e). La scrittura delle traduzioni è particolarmente interessante perché guidata e limitata in modo speciale; in quanto tale, seguendo questo ragionamento, rappresenta un caso limite illuminante per ogni genere di attività di scrittura cosiddetta spontanea e non diretta.

Sì ma… un momento. Mi pare che dicendo tutto questo si tralasci troppo rapidamente quello che nel progetto di traduzione non è la stessa cosa. Si procede troppo in fretta.

Come sottolinea Davis, le due attività semplicemente non sono uguali.

Perché la scrittura da tradurre dice: vieni qui. È questo il suo invito: vieni qui, abbandona la pagina bianca, l’espressione personale, l’impegno verso una creazione monografica senza precedenti. Vieni qui, siediti e occupati per un po’ di questo, dell’opera di qualcun altro, e vediamo cosa succede. (‘Uno dei modi di aggirare i confini della propria “identità” quando si produce una prosa descrittiva,’ scrive Spivak, ‘è lavorare all’opera di qualcun altro, come si lavora con una lingua che appartiene a molti altri. Questa in fin dei conti è una delle seduzioni del tradurre.’)

Vale la pena discutere se lavorare all’opera di qualcun altro renda il traduttore un artigiano più che un artista? Secondo me no. Non mi interessa pensare alla produzione artistica unicamente in termini di originalità, novità e invenzione. Preferisco approfondire come intendiamo il termine artigianato, soprattutto in rapporto alla questione del rischio.

Nel suo libro Gli argonauti, Maggie Nelson descrive uno degli infiniti, identici pomeriggi passati a prendersi cura del figlio appena nato. Racconta di come lo guardava gattonare in cortile e decidere “verso quale malandata foglia di quercia fare rotta prima, con il suo tenace strisciare simile al passo del soldato.” Lo osservava, pronta a scattare, con la vigilanza primitiva e trattenuta che le dava la prontezza di passare all’azione se avesse dovuto “ripescare la foglia dalla sua bocca”. Questa scena porta Nelson a fare un appello diretto. “Lettore”, scrive, “oggi sei vivo, e leggi queste parole, perché qualcuno un tempo ha sorvegliato adeguatamente le tue esplorazioni orali.”

Il che è vero, e al contempo non è nulla per cui sentirsi particolarmente grati, come Nelson sottolinea in seguito. Così qualcuno, qualcuno che guarda caso era mia madre (ma non doveva per forza essere lei) un tempo ha sorvegliato le mie esplorazioni orali. Nelson scrive: ‘Winnicott sceglie la posizione relativamente poco sentimentale che a queste persone (spesso donne, ma non sempre) non dobbiamo nulla. Ma dobbiamo a noi stessi ‘una presa di coscienza intellettuale del fatto che, all’inizio, eravamo (a livello psicologico) assolutamente dipendenti, e che assolutamente significa assolutamente. Per fortuna, ad attenderci dall’altra parte c’era un’ordinaria sollecitudine’.

Quando il più piccolo dei miei figli era neonato, avevo spesso un vivido incubo in technicolor in cui sognavo che soffocava. Quell’immagine aveva sortito l’effetto di aumentare i miei livelli di attenzione, trasformandola in una sorta di sorveglianza paranoica. A pranzo gli davo una fetta di pera matura, quasi spappolata, e lo guardavo cercare di infilarsela in bocca con aria beata. Poi all’improvviso dubitavo delle dimensioni, della consistenza della fettina, e con sua grande irritazione gliela portavo via (scusa, scusa, scusa! – non piangere: te la taglio a pezzettini! Te la schiaccio!)

A rifletterci ora, credo che quello che mi disturbava maggiormente fosse il pensiero (e anche la realtà) che il minimo calo di attenzione, anche (e specialmente) rispetto alle più comuni attività quotidiane – mangiare una pera a pranzo, sedersi in giardino tra le foglie secche – potesse diventare questione di vita o di morte. In quel periodo la posta in gioco, per qualsiasi cosa, mi sembrava quasi insopportabilmente alta.

L’analogia che propongo più avanti è forse un poco o del tutto inadeguata. Voglio comunque forzare un po’ la mano. In primo luogo perché per un certo periodo l’atto di sorvegliare le esplorazioni orali di mio figlio e quello di scrivere le traduzioni di Barthes sono coincisi nella mia vita di tutti i giorni. Ma anche per un motivo più ponderato, e cioè che questa sensazione profonda di rischio costante e al contempo del tutto ordinario e quotidiano spiega in parte quale sia la posta in gioco nel progetto di scrivere una traduzione, soprattutto quando è concepito allo scopo di costituire un intero.La traduzione dei testi citati, inediti in italiano, è di Gioia Guerzoni, tranne Gli Argonauti di Maggie Nelson, tr. it. Francesca Crescentini, Saggiatore, 2016.