From Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple

Written in French by Didier Eribon

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Trois ou quatre ans après la mort de mon père, elle avait fait la connaissance d’un homme qui habitait un village voisin de Muizon. Je ne sais plus très bien comment ils s’étaient rencontrés. Au supermarché, peut-être, où il l’avait aidée à porter ses courses et à les mettre dans le coffre de sa voiture ? Toujours est-il qu’ils s’étaient revus. Il venait passer des après-midis chez elle. Elle était tombée amoureuse de lui. Quand je l’ai invitée à venir quelques jours à Paris, elle me parla de lui, dès le premier soir. J’étais allé la chercher à la gare, nous avions pris l’autobus et je l’avais installée dans l’appartement d’un ami, qui était en voyage. À peine étions-nous arrivés qu’elle me dit d’un air à la fois solennel et soucieux : « Je voudrais te poser une question. 

–  Je t’écoute ! 

–  Toi qui es philosophe, tu dois savoir ça : tu crois qu’on peut être amoureuse à mon âge ? 

–  Mais oui, bien sûr, on peut être amoureux à n’importe quel âge. Pourquoi me poses-tu cette question ? 

–  Oh, pour rien, je te demande ça comme ça. 

–  Tu es amoureuse ? 

Elle hésita un instant, puis me dit : « Tu vas penser que je suis folle… 

–  Donc, la réponse est oui… 

–  Euh… Oui… 

–  Dequi?» 

Elle me donna quelques informations sur l’objet de sa passion. Il s’appelait André, il vivait à quelques kilomètres de Muizon. Le seul problème, c’est qu’il était marié. 

Elle m’interrogea (pour la forme, je suppose) : « Qu’est-ce que tu crois que je dois faire ? 

–  Tu n’as pas à me demander mon avis. Fais ce que tu as envie de faire. L’essentiel, c’est que tu sois heureuse. 

–  Oui, ça me rend heureuse. Je n’ai jamais été heureuse avec ton père. Mais avec lui, je suis bien. 

–  Alors, c’est parfait. 

–  Oui, je vais continuer à le voir. Mais je dois être un peu folle quand même, à mon âge (phrase suivie de petits rires…) ! » 

Elle ajouta qu’elle préférait ne pas en parler à mes frères, car elle était persuadée qu’une telle nouvelle avait tout pour leur déplaire. 

Elle ne put s’empêcher de leur en parler, néan- moins, un peu plus tard, et de fait, cela leur déplut profondément. 

Dans les jours qui suivirent, j’emmenai ma mère au Jardin des Plantes, pour visiter la Galerie des dinosaures, et à la tour Eiffel, un soir, d’où elle revint émerveillée. Elle me parlait beaucoup d’André. 

 

À peine quelques semaines s’étaient-elles écou- lées depuis ces confidences que ma mère, qui n’allait déjà pas très bien lors de ce séjour, se sentit très malade : son médecin appela une ambulance. Elle devait être opérée sans délai. 

En partant pour la clinique, elle téléphona à chacun de nous pour nous prévenir. Elle nous informa aussi qu’elle avait laissé ses clés à l’homme qu’elle aimait. Ce qui inquiéta mes frères : « Maman n’aurait pas dû lui laisser ses clés. On ne sait pas si on peut avoir confiance. » 

Et moi : «Ce sont ses clés à elle! Et elle, elle a confiance… » 

–  On ne sait pas qui est ce monsieur. Et s’il vole des choses dans la maison ! 

–  Qu’est-ce que vous voulez qu’il vole ? Il n’y a rien à voler… 

–  Mais les outils de papa dans le garage ? » 

Il est vrai que mon père était très bricoleur, et qu’il avait beaucoup d’outils… Mais il était mort depuis plusieurs années, et tout son matériel, tout son équipement qui occupait de nombreux pla- cards, rayons et tiroirs dans le garage de la maison restaient inutilisés et inutiles. Pourquoi mes frères s’en préoccupaient-ils ? 

«Personne ne s’en est servi depuis qu’il est mort », leur objectai-je. 

Et, pour clore la discussion sur ce point, je finis par ajouter : « Un quart de tout cela me revient, je lui donne ma part s’il en a besoin. » 

(Qu’est-ce que j’aurais bien pu en faire ? Quand ma mère est morte, c’est un de mes frères qui les a récupérés… Je les lui laissais bien volontiers.) 

Puis l’échange se focalisa sur la relation elle- même : « Elle a perdu la tête », me dit l’un de mes frères. 

Et leurs courriers électroniques et coups de télé- phone se multiplièrent, toujours sur le même ton: « Elle a commencé une relation avec un autre homme alors que papa est mort il y a seulement trois ans.

– Mais elle a 80 ans, vous voulez qu’elle attende d’en avoir 90 pour rencontrer quelqu’un ? – Il est plus jeune qu’elle… » 

À quoi j’objectais que, étant donné l’âge qu’elle avait, c’était mieux dans ce sens-là que s’il avait dix ans de plus. 

« Il est marié.

– Alors ça, vraiment, c’est eux que ça regarde, pas nous. Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? Pourquoi vous mêlez-vous de ça ? » 

J’étais agacé, atterré même, par le conformisme de mes frères, leur conservatisme moral. J’avais l’impression d’être téléporté dans la nouvelle de Brecht, « La vieille dame indigne », quand, à la mort de son mari, cette femme change de vie, va au cinéma et fréquente un autre homme sans se soucier des convenances, ni du qu’en-dira-t-on, ni du regard désapprobateur de ses enfants. Seul l’un de ses fils insiste auprès des autres – qui se demandent ce qui arrive à leur mère et suggèrent qu’on l’envoie consulter un médecin – pour que, au contraire, dans la mesure où il la trouve « frin- gante », on la laisse faire ce qu’elle veut. 

Ce personnage féminin de Brecht avait donc « vécu successivement deux vies » : la première, la plus longue, « en tant que fille, femme et mère », et la seconde, beaucoup plus courte (quelques années), en tant que « personne seule, sans obliga- tions, aux moyens modestes mais suffisants ». C’est-à-dire de « brèves années de liberté » après de « longues années de servitude ».

J’aperçois une image de ma mère dans cette courte et belle évocation. Elle avait été une enfant abandonnée, placée à 14 ans comme « bonne à tout faire », une femme de ménage, une ouvrière d’usine… Elle s’était mariée à 20 ans et avait vécu pendant cinquante-cinq ans avec un homme qu’elle n’aimait pas… Et voilà que, à plus de 80 ans, elle découvrait la liberté et était bien déci- dée à en savourer tous les instants. Comment pou- vait-on le lui reprocher ? Qui pouvait s’arroger le droit de l’en blâmer ? De toute façon, elle n’avait pas l’intention de s’en remettre au jugement de ses fils. Elle n’en ferait qu’à sa tête… Elle devenait « folle » ? Fort bien, si cette folie s’appelait « amour » et qu’elle était heureuse. Elle me parlait de lui à longueur de conversations ; elle était litté- ralement obsédée par lui. Et je souriais chaque fois qu’elle prononçait son nom en me récitant en silence ce vers de Racine : « Dans quels égarements l’amour jeta ma mère».

Published August 27, 2024
© Flammarion 2023

From Vita, vecchiaia e morte di una donna del popolo

Written in French by Didier Eribon


Translated into Italian by Annalisa Romani

Tre o quattro anni dopo la morte di mio padre, aveva conosciuto un uomo che viveva in un paese vicino a Muizon. Non so più di preciso come si fossero conosciuti. Forse al supermercato, magari lui l’aveva aiutata a portare la spesa e a metterla nel bagagliaio dell’auto. Fatto sta che si rividero. Passava i pomeriggi da lei. E lei se ne innamorò. Quando la invitai a Parigi per qualche giorno, mi parlò di lui, fin dalla prima sera. La accolsi alla stazione, prendemmo l’autobus e l’ospitai nell’appartamento di un amico che era in viaggio. Appena arrivati mi disse con un’aria solenne e preoccupata: «Vorrei farti una domanda». 

«Dimmi.» 

«Tu che sei filosofo lo dovresti sapere: pensi che ci si può innamorare all’età mia?» 

«Ma sì, certo, ci si può innamorare a qualsiasi età. Perché mi fai questa domanda?» 

«Ma no, niente, così, tanto per dire.» 

«Sei innamorata?»

Esitò un momento, poi disse:
«Penserai che sono pazza…». 

«Quindi la risposta è sì…»

«Ehm… Sì…»


«Di chi?»


Mi diede qualche dettaglio in più sull’oggetto della sua passione. Si chiamava André e viveva a pochi chilometri da Muizon. C’era un solo problema: era sposato. 

Mi chiese (in modo retorico, suppongo): «Che dovrei fare, secondo te?». 

«Non è importante cosa penso io. Fai quello che ti va di fare. L’importante è che sei felice.» 

«Sì, sono felice. Non lo sono mai stata con tuo padre. Ma con lui sto bene.» 

«Allora è perfetto.» 

«Sì, continuerò a vederlo. Ma devo essere un po’ matta, però, alla mia età!» (A questa frase seguì una risatina…) Aggiunse che preferiva non dirlo ai miei fratelli, perché era convinta che la notizia aveva tutte le ragioni per non piacergli. 

Ciononostante non riuscì a non parlargliene, più avanti, e in effetti la presero malissimo. 

Nei giorni seguenti portai mia madre all’orto botanico, a visitare la galleria dei dinosauri e una sera alla Torre Eiffel, da cui tornò estasiata. Mi parlava tanto di André. 

 

Erano trascorse pochissime settimane da quelle con confidenze e mia madre, che già non stava molto bene durante il soggiorno, ebbe un malore: il suo dottore chiamò un’ambulanza. Doveva essere operata al più presto. 

Era sul punto di andare in clinica e ci chiamò a uno a uno per informarci. Ci disse pure che aveva lasciato le chiavi di casa all’uomo che amava. Cosa che preoccupò i miei fratelli: «Mamma non avrebbe dovuto lasciargli le chiavi. Mica lo sappiamo se c’è da fidarsi di lui». 

E io: «Sono le sue chiavi! E lei si fida…».

«Non sappiamo chi è questo signore. E se ruba qualcosa!» 

«Ma cosa volete che rubi? Non c’è niente da rubare…» 

«E gli attrezzi di papà nel garage?»

È vero che mio padre era appassionato di bricolage e aveva tanti attrezzi… Ma era morto da diversi anni e tutto quel materiale, tutti quegli arnesi che occupavano molti armadi, scaffali e cassetti del garage di casa, rimanevano inutilizzati, inutili. Che gliene importava ai miei fratelli? 

«Non li ha usati più nessuno da quando è morto» obiettai. 

E per mettere un punto a quel discorso aggiunsi: «Un quarto di quella roba spetta a me, gli cedo la mia parte se ne ha bisogno». 

(Che avrei potuto mai farmene? Quando mia madre è morta li ha presi uno dei miei fratelli… Glieli ho lasciati ben volentieri.)

Poi il discorso si incentrò sulla loro relazione. «Ha perso la testa», mi disse uno di loro. 

E si moltiplicarono le email e le telefonate, tutte dell’identico tenore: «Ha iniziato una relazione con un altro uomo, con papà che è morto solo da tre anni». 

«Ma ha ottant’anni, volete che aspetti di averne novanta per incontrare qualcuno?» 

«Lui è più giovane…» 

Al che obiettai che, data la sua età, era meglio così rispetto a se ne avesse avuti dieci di più. 

«È sposato.» 

«Ah, questa poi! Sono affari loro, mica nostri. Che diavolo ve ne importa? Perché vi intromettete?» 

Ero infastidito, addirittura avvilito dal conformismo dei miei fratelli, dal loro conservatorismo. Avevo l’impressione di trovarmi nel racconto di Brecht La vecchia indegna, proprio nel punto in cui, alla morte del marito, quella donna cambia vita, prende ad andare al cinema e a frequentare un altro uomo infischiandosene delle convenzioni, di quello che dirà la gente o dello sguardo di biasimo dei figli. Mentre questi si chiedono cosa le stia accadendo e pensano di farla visitare da un medico, uno di loro ribadisce che fin quando la troverà così «pimpante» le lascerà fare ciò che vuole. 

Questo personaggio femminile di Brecht ha quindi vissuto «due vite, una dopo l’altra»: la prima, più lunga, «come figlia, sposa e madre» e la seconda, molto più breve (di qualche anno), come «una persona sola, senza obblighi e con mezzi modesti ma sufficienti». In altre parole, «brevi anni di libertà» dopo «lunghi anni di servitù». 

Scorgo mia madre in questa breve e bella evocazione. Era stata una bambina abbandonata, data in affidamento a quattordici anni come «domestica tuttofare», donna delle pulizie, operaia… Si è sposata a vent’anni e ne ha vissuti cinquantacinque con un uomo che non amava… Ed ecco che a ottant’anni suonati scopriva la libertà ed era ben decisa a gustarne ogni momento. Come biasimarla? Chi poteva arrogarsi il diritto di fargliene una colpa? In ogni modo non aveva intenzione di sottomettersi al giudizio dei figli. Avrebbe fatto di testa sua… Stava diventando «pazza»? Tanto meglio, allora, se quella follia si chiamava «amore» e lei era felice. Parlava di lui di continuo, era letteralmente ossessionata da quell’uomo. E ogni volta che pronunciava quel nome sorridevo, recitando tra me e me questo verso di Racine: «In quali eccessi finì mia madre per amore».

Published August 27, 2024
© L’orma 2024


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Bellinzona (CH), 12-15 settembre 2024

Nel 2024 Babel si rivolge alla Francia, la nazione dove forse più che altrove in Europa letteratura e pensiero filosofico – da Voltaire e Rousseau fino a Sartre, De Beauvoir e Camus, passando per Hugo e Zola – si sono confrontati intimamente con le questioni sociali, dando vita ad alcune delle più significative opere letterarie dell’Occidente.
Babel France va in cerca delle metamorfosi contemporanee di questa grande tradizione, ne indaga tecniche e strumenti, si chiede quali sono le problematiche con cui oggi sembra imprescindibile fare i conti – le differenze di classe, il passato coloniale, il neoliberalismo, la deturpazione del paesaggio, la crisi climatica, il capitalismo finanziario? – e come queste si traducono in letteratura per poi ritradursi in una più acuta coscienza del mondo.
Babel France invita autrici e autori che, lontani dal mero messaggio politico, mischiando e a volte stravolgendo i generi, provano a rendere una testimonianza complessa e stratificata dei traumi e delle aspirazioni di un intero paese, e di come questi si ripercuotono sui singoli individui. Perché la letteratura, per sua stessa vocazione, riporta continuamente alla dimensione umana e ci svela ciò che i densi manuali di teoria politica o di sociologia non riescono a prevedere.

Tra gli ospiti: Laurent Mauvignier, Sandra Lucbert, Gauz’, Diaty Diallo, Seynabou Sonko, Elitza Gueorguieva, Clément Camar-Mercier, Lorenzo Flabbi, Massimo Gezzi. Sara Rossi Guidicelli, Amiata, Jürgen Nefzger.

In attesa del festival, Specimen pubblica una serie di testi legati al tema dell’edizione 2024.


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