Pierre et le loup

Written in French by Éric Chevillard

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Bien, bien bien, c’est charmant, Pierre et le loup, je ne le nie pas, une bonne introduction à la musique d’orchestre pour le public enfantin auquel il s’agit de vendre cette manifestation incongrue et fastidieuse du génie humain, ce feu d’artifice de cuivre astiqué et de bois verni, ce spectacle de stricts personnages tout de noir vêtus, remuant leurs maillets, leurs baguettes, leurs archets, comme s’il ne suffisait pas au brave homme de correctement manier la pelle, le vilebrequin, la scie, la louche ou la fourchette à huîtres. Sergueï Prokofiev a estimé non sans raison, malice et sournoiserie qu’il fallait enfumer ces petits loustics qui risquaient fort de geindre et de faire du tapage si on ne les distrayait opportunément avec un conte naïf de cet ennui compassé, solennel, symphonique.

Et donc, comme on sait, comment l’ignorer, il a eu l’idée d’attribuer à chaque personnage du récit un instrument de l’orchestre et une phrase musicale afin que l’enfant ingénu, ignominieusement, manipulé et réduit au silence, reste en place sans bouger sur son siège. C’est ainsi que les cordes introduisent Pierre, le petit héros joyeux et souriant, la flûte légère et gazouillante l’oiseau, le hautbois mélancolique le canard, la clarinette le chat aux pattes de velours, les cors sévères et sombres le loup, le basson grondeur le grand-père qui bougonne, la timbale et la grosse caisse les chasseurs. L’histoire est simple : Pierre brave les consignes de son grand-père et s’aventure dans la campagne, il rencontre un chat, un oiseau et un canard qui se houspillent donc en musique. Plus tard, un loup dévore le canard. Pierre juché sur une branche capture le loup avec l’aide de l’oiseau et au moyen d’une corde, les chasseurs qui le traquaient arrivent trop tard et c’est à la fin un tumulte parfaitement orchestré de liesse collective.

Un récitant raconte cette belle histoire à laquelle l’auditoire ne comprendrait rien s’il devait s’en remettre à la seule expressivité narrative de la musique, mais enfin, c’est guilleret, enlevé, efficace. Dans l’enfance, nous avons trois ou quatre fois l’occasion d’écouter ce concert, puis de voir encore plusieurs adaptations en dessins animés. Pas un Noël enfin, pas un anniversaire, sans qu’une tante mélomane pour ne pas dire grincheuse nous en offre un nouvel enregistrement sur disque, Pierre et le loup, encore eux, avec pour récitant tel ou tel comédien à la voix suave. Ils doivent tous un jour ou l’autre incarner le rôle, c’est le critère d’une carrière réussie, avec Hamlet et Don Juan, impossible d’y couper.

Mais voilà où le bât blesse, l’enfant matraqué de Pierre et le loup, abruti, saturé, finit par assimiler pour de bon et définitivement les instruments aux personnages qu’ils incarnent arbitrairement dans cette histoire. Je suis victime de ce syndrome, à jamais de ce fait perdu pour la musique. Car si, dans la pièce instrumentale de Prokofiev, le récit fait exprès évidemment se tient, il n’en va pas du tout de même pour les autres morceaux du répertoire classique. Mais pour moi, comprenez-vous, le basson grondeur sera toujours un grand-père qui bougonne, le hautbois mélancolique un canard, la flûte légère et gazouillante un oiseau, la douce clarinette un chat aux pattes de velours, la grosse caisse un chasseur, le cor sévère et sombre un loup qui sort du bois, et le violon ce garnement de Pierre joyeux et, souriant.

Imaginez alors les images de cauchemar qui me visitent quand j’écoute par exemple la symphonie Pathétique de Tchaïkovski : le canard mélancolique mange les yeux du chat aux pattes de velours qui meurt en lacérant de ses griffes le ventre de Pierre joyeux et souriant. Puis le grand-père grondeur épouse le canard mélancolique tandis que les chasseurs s’entretuent et que l’oiseau léger et gazouillant emporte le loup sévère et sombre pour le dévorer dans son aire ! Et le Chant de la nuit de Mahler : le loup sévère et sombre est ministre des finances, il fait voter une loi qui condamne le chat aux pattes de velours à écosser des petits pois. L’oiseau léger et gazouillant vomit de la colle à tapisserie. Pierre joyeux et souriant plume le canard mélancolique vivant et les chasseurs abattent le grand-père qui bougonne dans sa baignoire. C’est affreux, mais ce n’est rien encore à côté de ce qui se passe dans la Pastorale de Beethoven : Pierre joyeux et souriant viole son grand-père qui bougonne, le chat aux pattes de velours est devenu alcoolique, l’oiseau léger et gazouillant et le canard mélancolique n’apparaissent que sous forme de terrines périmées depuis trois jours, le loup sévère et sombre et les chasseurs découpent le monde en quartiers comme une orange. Et le Boléro de Ravel ! Quelle abomination ! Le loup sévère et sombre se fait passer pour le chat aux pattes de velours qui fait semblant d’être l’oiseau léger et gazouillant qui feint d’être Pierre joyeux et souriant qui se prend pour un chasseur qui se révèle être le grand-père grondeur du canard mélancolique. Et quand c’est fini, ça recommence. Le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy est pour moi une épreuve mortifiante. J’en sors à jamais humilié. Quant à la Symphonie fantastique de Berlioz, ce n’est qu’une succession d’actes contre-nature, un délire macabre et sordide que je préfère ne pas détailler. Il se pourrait que des enfants écoutent.

From Détartre et désinfecte, Saint Clément, Fata Morgana, 2107

© 2017 Éric Chevillard

Pierino e il lupo

Written in French by Éric Chevillard


Translated into Italian by Gianmaria Finardi

Bene, bene bene, è seducente, Pierino e il lupo, non lo nego, una buona introduzione alla musica d’orchestra per il pubblico infantile a cui bisogna vendere questa manifestazione incongrua e fastidiosa del genio umano, questo fuoco d’artificio di ottone lucidato e legno verniciato, questo spettacolo di severi personaggi tutto di nero vestiti, che agitano i loro mazzuoli, le loro bacchette, i loro archetti, come se non bastasse al brav’uomo maneggiare correttamente il badile, il trapano, la sega, il mestolo e la forchetta da ostriche. Sergej Prokofiev ha ritenuto non senza ragione, malizia e ipocrisia che occorresse affumicare quegli spiritosetti i quali rischierebbero forte di frignare e fare baccano se non li si distraesse opportunamente con un racconto ingenuo di questo tormento compassato, solenne, sinfonico.

E quindi, come si sa, come ignorarlo, lui ha avuto l’idea di attribuire a ogni personaggio del racconto uno strumento dell’orchestra e una frase musicale affinché il bambino ingenuo ignominiosamente manipolato e ridotto al silenzio rimanga sul posto senza muoversi dalla sua poltrona. È così che le corde introducono Pierino, il piccolo eroe allegro e sorridente, il flauto leggero e cinguettante l’uccello, l’oboe malinconico l’anatra, il clarinetto il gatto dai guanti di velluto, i corni severi e cupi il lupo, il fagotto brontolone il nonno che borbotta, il timpano e la grancassa i cacciatori. La storia è semplice: Pierino sfida le consegne del nonno e si avventura in campagna, incontra un gatto, un uccello e un’anatra che si strapazzano quindi a suon di musica. Più tardi, un lupo divora l’anatra. Pierino appollaiato su un ramo cattura il lupo con l’aiuto dell’uccello e per mezzo di una corda, i cacciatori che lo braccavano arrivano troppo tardi e alla fine è un tumulto perfettamente orchestrato di esultanza collettiva.

Una voce recitante racconta questa bella storia di cui l’uditorio non capirebbe niente se dovesse fare affidamento sulla sola espressività narrativa della musica, ma è allegro, estroso, efficace, dopotutto. Nell’infanzia, abbiamo tre o quattro volte l’occasione di ascoltare questo concerto e poi di vedere ancora parecchi adattamenti in cartone animato. Non un Natale insomma, non un compleanno senza che una zia melomane per non dire grinzosa e un po’ Grinch ce ne offra una nuova registrazione su disco, Pierino e il lupo, ancora loro, con questo o quell’attore come soave voce recitante. Devono tutti un giorno o l’altro incarnare il ruolo, è il criterio per una carriera di successo, con Amleto e Don Giovanni, non ci sono scorciatoie.

Ma ecco il tasto dolente, il bambino martellato da Pierino e il lupo, istupidito, saturo, finisce con l’assimilare per davvero e definitivamente gli strumenti ai personaggi che essi incarnano arbitrariamente in questa storia. Io sono vittima di questa sindrome, a causa di questo fatto irrimediabilmente negato per la musica. Perché se, nel pezzo strumentale di Prokofiev, il racconto fatto apposta evidentemente sta in piedi, non è affatto lo stesso per gli altri del repertorio classico. Ma per me, cercate di comprendere, il fagotto brontolone sarà sempre un nonno che borbotta, l’oboe malinconico un’anatra, il flauto leggero e cinguettante un uccello, il dolce clarinetto un gatto dai guanti di velluto, la grancassa un cacciatore, il corno severo e cupo un lupo che esce dal bosco, e il violino quel monello di Pierino allegro e sorridente.

Immaginate allora le immagini da incubo che mi fanno visita quando ascolto ad esempio la sinfonia Patetica di Čajkovskij: l’anatra malinconica mangia gli occhi del gatto dai guanti di velluto che muore lacerando con le proprie grinfie la pancia di Pierino allegro e sorridente. Poi il nonno brontolone sposa l’anatra malinconica mentre i cacciatori si uccidono l’un l’altro e l’uccello leggero e cinguettante porta via il lupo severo e cupo per divorarlo nel suo nido! E il Canto della notte di Mahler: il lupo severo e cupo è ministro delle Finanze, fa votare una legge che condanna il gatto dai guanti di velluto a sgusciare i piselli. L’uccello leggero e cinguettante vomita colla per tappezzeria. Pierino allegro e sorridente spenna l’anatra malinconica viva e i cacciatori abbattono il nonno che borbotta in una vasca da bagno. È spaventoso, ma non è nulla ancora in confronto a quel che succede nella Pastorale di Beethoven: Pierino allegro e sorridente viola suo nonno che borbotta, il gatto dai guanti di velluto è diventato alcolizzato, l’uccello leggero e cinguettante e l’anatra malinconica appaiono solo sotto forma di terrine scadute da tre giorni, il lupo severo e cupo e i cacciatori fanno a pezzi il mondo, a spicchi come un’arancia. E il Bolero di Ravel! Che abominio! Il lupo severo e cupo si fa passare per il gatto dai guanti di velluto che fa finta di essere l’uccello leggero e cinguettante che finge di essere Pierino allegro e sorridente che si crede un cacciatore che si rivela essere il nonno brontolone dell’anatra malinconica. E quando tutto è finito, ricomincia. Il Preludio al pomeriggio di un fauno di Debussy per me è una prova mortificante. Ne esco umiliato per sempre. Quanto alla Sinfonia fantastica di Berlioz, è solo una successione di atti contro natura, un delirio macabro e sordido che preferisco non esporre nei particolari. Qualche bambino potrebbe essere in ascolto.

© 2017 Éric Chevillard
© 2018 Specimen

Peter and the Wolf

Written in French by Éric Chevillard


Translated into English by Jordan Stump

Yes, yes, yes, it’s very charming, is Peter and the Wolf, I won’t deny it, a fine introduction to orchestral music for the young audience who must somehow be made to swallow that bizarre, tiresome manifestation of human genius, those fireworks of polished brass and varnished wood, that spectacle of the austere and black-dressed waggling their mallets, their sticks, their bows, as if they had no idea what to do with a shovel, a drill, a saw, a ladle, an oyster fork. Sergey Prokofiev believed — rightly, cleverly, underhandedly — that some manner of sop had to be thrown to those little sprites, who might very well whine and carry on without some naïve little tale to distract them from the stiff-necked, solemn, symphonic tedium.

And so, as everyone knows, how can you not, he came up with the idea of assigning every character in the story an instrument of the orchestra and a musical phrase, to keep the ingenuous child, ignobly manipulated and silenced, still in his seat. Thus the strings introduce Peter, the happy, fun-loving little hero; the airy, twittering flute is the bird, the melancholy oboe the duck, the mellow clarinet the velvet-pawed cat, the severe, somber horns the wolf, the muttering bassoon the grumpy grandfather, the timpani and bass drum the hunters. The story is simple: ignoring his grandfather’s orders, Peter ventures into the countryside, where he meets a cat, a bird, and a duck, whose mutual vilifications come out as music. Later, a wolf devours the duck. Perched on a branch, Peter captures the wolf with the aid of the bird and a rope; the hunters pursuing it show up too late, and it all ends with a perfectly orchestrated tumult of collective celebration.

We’ve all heard the concert three or four times and seen several cartoon versions as well. And of course not one Christmas went by, not one birthday, without some music-loving aunt giving us yet another new recording of the thing, Peter and the wolf, them again, narrated by one silver-tongued actor or another. They all have to shoulder those roles sooner or later, it’s a must for a successful career, that and Hamlet and Don Juan,there’s no getting out of it.

Here’s the rub: pummeled by Peter and the Wolf, knocked senseless, saturated, the child ends up definitively and permanently associating the instruments with the characters they arbitrarily play. The muttering bassoon will always be a grumpy grandfather, the melancholy oboe a duck, the airy, twittering flute a bird, the mellow clarinet a velvet-pawed cat, the bass drum a hunter, the severe, somber horn a wolf emerging from the forest, and the violin that happy, fun-loving little hoodlum Peter.

Imagine the nightmarish visions that arrive when you listen to Tchaikovsky’s Pathétique: the melancholy duck eats the eyes of the velvet-pawed cat, whose claws shred happy, fun-loving Peter’s belly as it dies. The muttering grandfather marries the melancholy duck while the hunters slaughter one another and the airy, twittering bird carries off the severe, somber wolf to devour it in its aerie. Or Mahler’s Song of the Night: the severe, somber wolf is a finance minister, calling for a vote on a law that will sentence the velvet-pawed cat to shelling peas. The airy, twittering bird vomits up wallpaper paste. Happy, fun-loving Peter plucks the melancholy duck alive, and the hunters shoot the grumpy grandfather in his bath. It’s horrible, but it’s nothing compared to the goings-on in Beethoven’s Pastoral: happy, fun-loving Peter rapes his grumpy grandfather, the velvet-pawed cat has succumbed to alcoholism, the airy, twittering bird and the melancholy duck appear only in the form of terrines three days past their sell-by dates, the severe, somber wolf and the hunters have joined forces to take over the world. And Ravel’s Boléro! The severe, somber wolf passes itself off as the velvet-pawed cat, who pretends to be the airy, twittering bird, who is disguised as happy, fun-loving Peter, who takes himself for a hunter, while the hunter turns out to be the melancholy duck’s grumpy grandfather. Debussy’s “Prelude to the Afternoon of a Faun” is a horrific ordeal. And don’t get me started on Berlioz’s Symphonie Fantastique: a long string of unnatural acts, a sordid, macabre delirium I’d rather not recount in detail. There may be children listening.

© 2017 Éric Chevillard
© Music & Literature No. 8, December 2017


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