Reconcile
Written in English by Tam Nguyen
“Mẹ, what date is today?”
“It’s the 20th of December, why are you asking?”
“No, I meant in positive dates!”
“Oh, then it’s January 11th.”
It is always like that, I and Mẹ, ten days apart, our timelines. While I have lived within the comfort of the Western solar calendar for as long as I can remember, my mother splits her temporal perception into two. As I moved on to the new year, she stayed back for a bit. There would be a few things left to do before she hits the last day of December. On the morning of the 23rd, she would wake up early and head straight to the wet market to fetch a river carp. She would then place the carp in a blue bucket with not too much water or he would jump off the rim, and not too few so that he remains strong and healthy until we đưa ông Táo về trời.
Ông Táo is the supreme god of all Vietnamese households, observant and full of intentions. During the ceremony, he would travel on the back of the carp which sublimates into a dragon halfway to heaven. I guess a dragon is way cooler to ride on than a carp. He would then accordingly report the family’s good deeds, bad deeds, and the secrets that they kept from each other throughout the year, and based on this the heavenly jury would determine the outcomes and fortunes of the family for the years to come.
Otherwise, this ten-day difference between our timelines does not come without problems. There was one time when Mẹ forgot my birthday for hanging on the Lunar Calendar for dear life. She thought she was waiting it out, but she wasn’t. Of course, as a ten-year-old, I got upset when my mom forgot my birthday. I thought I’d hate the Lunar Calendar for the rest of my life for regressing my existence. I blame it for the unwarranted invisibility it had inflicted on me.
Like history, the calendars are supposed to make us more whole and less fragmented. Tabula rasa, as John Locke terms it, describes the child as a “blank slate,” and parenting involves putting the child in relation to time. Here, their tabula rasa is replenished with data and information about a monolithic future of the particular timeline the child inhabits. The past to them thus seems rather puppeteered than lived. Like a machine with a built-in quantum clock, the child is set into motion by their timeline.
Carla Shalaby talks about how a child can be perceived as problematic when the timelines are out of sync in her work Troublemakers (2017). For her, a timeline is linear and consistent. Therefore, when a child acts or behaves at the wrong time, the timeline is disrupted. For the Solar calendar engulfs us in all the world, I chose to think that sometimes my angsty rebellion towards Mẹ is a form of resistance, because it is when we get the closest to a temporal reconciliation. Only in these moments do my mother’s traumas seem more real, the stories about her hardship become animated like a movie scene.
“During my time, we used to…” is her favorite way to start off a lecture; and I would yank up at her a “but in my time, people are…” It shall be like that – a perpetual feedback loop between the past and present tenses. But in the Vietnamese language, at least in speech, the distinction is almost impossible to tell.
“Thời của Mẹ, người ta nấu cháo bằng bùn cưa!”
(“During my time, we used to cook congee out of saw dust!”)
“Mà ngày nay làm gì còn chiến tranh nữa?”
(“But in my time, there is no war!”)
Except there has always been a war – our little battle against one another, even though time itself is the lurking nemesis. Mẹ remembered my birthday this year. It was a warm and sunny day in our hometown. The celebration was perhaps a point of reconciliation for bodies that existed in both places at once. It does not provide clarity, but it’s a reminder that apart from the small battles we fought, we are also capable of benevolence.
What does it mean to claim ownership over each other’s timeline? Is there any way to embody generational trauma without letting it bleed through our present tense and eradicate our capability of tenderness? To locate the fugitive Vietnamese body in time and language is to reclaim our tabula rasa. To be a postwar Vietnamese child is to always act at the wrong time and celebrate. And at the end of the day, to speak in time and against time is a yellowed gesture that decomposes what Dipesh Chakrabarty calls the “imagined waiting room of history,” where the colonial forefather shakes his forefinger at us and shh-es “not yet.”
Published September 30, 2024
© Tam Nguyen
« Mẹ, on est quel jour aujourd’hui ? »
« Le 20 décembre, pourquoi ? »
« Non, je voulais dire, en dates positives ! »
« Ah, alors on est le 11 janvier »
C’est toujours comme ça, Mẹ et moi, nos chronologies, dix jours d’écart. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vécu dans le confort du calendrier solaire occidental alors que ma mère scindait sa perception du temps en deux. Au moment où j’entrais dans la nouvelle année, elle attendait encore un peu. Elle avait encore quelques trucs à faire avant d’arriver au dernier jour de décembre. Le matin du 23, elle se levait tôt et allait directement chercher une carpe au marché d’animaux vivants. Ensuite elle mettait la carpe dans un seau bleu avec suffisamment d’eau pour qu’elle reste forte et en bonne santé mais pas trop pour éviter qu’elle ne saute par dessus le bord jusqu’à ce que nous đưa ông Táo về trời.
Ông Táo est le dieu suprême du foyer au Vietnam, il est vigilant et volontaire. Au cours de la cérémonie, il voyage vers le paradis à dos de carpe et celle-ci se transforme en dragon à mi-chemin. Je suppose que c’est bien plus cool de monter un dragon qu’une carpe. Ensuite, Ông Táo rapporte les bienfaits et les méfaits de la famille, ainsi que les secrets cultivés en son sein au cours de l’année, et le jury du paradis en déduit la fortune de la famille pour les années à venir.
Cet écart de dix jours dans nos chronologies n’est pas sans poser d’autres problèmes. Une fois, Mẹ a oublié mon anniversaire parce qu’elle continuait de vivre coûte que coûte dans le calendrier lunaire. Elle pensait qu’il devait encore arriver mais elle avait tort. Évidemment, à l’âge de dix ans, j’en ai voulu à ma mère d’oublier mon anniversaire. J’étais prêt à détester le calendrier lunaire pour le restant de mes jours parce qu’il avait fait reculer mon existence et m’avait injustement rendu invisible.
Les calendriers comme l’histoire sont censés nous rassembler plutôt que de nous fragmenter. Selon la théorie de John Locke, l’enfant est une « table rase » et pour l’élever, un parent doit le mettre en relation avec le temps. L’avenir promis à l’enfant par sa chronologie particulière vient s’inscrire sur cette tabula rasa. Ainsi, le passé semble moins vécu que dirigé par une force invisible. L’enfant est mis en mouvement par sa chronologie, telle une machine avec une horloge atomique intégrée.
Dans son livre Troublemakers (2017), Carla Shalaby évoque le fait qu’un enfant peut être perçu comme problématique lorsqu’il vit décalé dans le temps. Selon elle, une chronologie est linéaire et cohérente. Donc si un enfant agit à contretemps, il vient perturber cette chronologie. Puisque dans le calendrier solaire, nous sommes entièrement plongés dans le monde, je préfère me dire que ma rébellion angoissée contre Mẹ est une façon d’y résister car ce n’est que dans ces moments-là que nous sommes proches d’une réconciliation temporelle. Les traumatismes de ma mère deviennent alors plus vivants et le récit de sa souffrance s’anime comme dans un film.
Quand elle me fait la morale, elle commence souvent par : « À mon époque, on faisait… », et je réponds en bondissant qu’« à mon époque, les gens sont… » C’est ainsi que ça doit être, un va-et-vient permanent entre le passé et le présent. Mais dans la langue vietnamienne, du moins à l’oral, la distinction entre ces deux temps est presque indiscernable.
“Thời của Mẹ, người ta nấu cháo bằng bùn cưa!”
(« À mon époque, on cuisinait du congee avec de la sciure de bois ! »)
“Mà ngày nay làm gì còn chiến tranh nữa?”
(« Mais à mon époque, il n’y a pas de guerre!)
Sauf qu’il y a toujours eu une guerre, notre petite guerre à nous, même si le véritable ennemi qui nous menace est le temps lui-même. Cette année, Mẹ s’est souvenue de mon anniversaire. Il faisait beau et chaud dans notre village. La fête fut sans doute un point de réconciliation entre des corps qui existaient à deux endroits à la fois. Elle n’apporta aucun éclaircissement mais elle permit de rappeler que nous sommes aussi capables de bienveillance malgré les petites guerres qui nous opposent.
Qu’est-ce que cela pourrait signifier si l’on s’appropriait la chronologie l’un de l’autre ? Peut-on éprouver un traumatisme générationnel sans qu’il n’ensanglante le temps présent et n’éradique notre pouvoir d’attendrissement ? Situer le corps vietnamien d’habitude si fuyant dans le temps et dans la langue, c’est se réapproprier notre tabula rasa. Être un enfant vietnamien d’après guerre, c’est toujours agir au mauvais moment et être en fête. Et au bout du compte, parler dans et contre le temps est un geste suranné qui décompose ce que Dipesh Chakrabarty appelle « la salle d’attente imaginaire de l’histoire », où le vieux colon agite son index en murmurant « pas encore ».
Published September 30, 2024
© Pierre Testard
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